"Euro : en sortir ou pas ?" par Michel Husson, Politis n°1116, 2 septembre 2010

sur le site de Michel Husson
jeudi 2 septembre 2010

http://hussonet.free.fr/eurosorti.pdf

Cette question est aujourd’hui soulevée, notamment dans le mouvement altermondialiste. Il s’agit
sans doute d’un débat inévitable dans la situation actuelle, mais il s’appuie sur des analyses
discutables et biaisées.

Tous les problèmes actuels proviendraient de l’impossibilité de monétiser la dette publique,
autrement dit de l’interdiction faite aux Banques centrales d’émettre de la monnaie : tel est le
postulat sur lequel repose le raisonnement. Cette situation aurait pour origine la volonté des
banques privées d’obtenir une prérogative, celle de créer de la monnaie, qui serait à la base de leurs
profits extravagants. Cette vision, plus ou moins « complotiste », selon laquelle les banques se
seraient arrogé un privilège exorbitant est un peu décalée

On nous révèle, comme si c’était un
secret détenu par quelques initiés, qu’en ouvrant une ligne de crédit, les banques créent de la
monnaie. Ce secret de polichinelle est pourtant le lot commun des étudiants de première année
d’économie : « les crédits font les dépôts ». Mais peu importe : il suffit de fustiger les « sachants »
qui prennent le peuple de haut.

Tout cela a quelque chose à voir avec l’Europe, puisque celle-ci a étendu le principe d’interdiction
de la planche à billets. La séquence est alors la suivante : il faut faire financer le déficit par la
banque de France, et pour retrouver cet élément de souveraineté, il faut sortir de l’euro. L’idée
d’une autre construction européenne est balayée comme étant hors de portée, tandis que la sortie
de l’euro serait une mesure facile, à portée de main, et compréhensible par le plus grand nombre.

La sortie de l’euro n’a pourtant rien d’une voie royale et on ne peut en sous-estimer les risques.
Sortir de l’euro, c’est dévaluer et, si cela s’accompagne en outre d’une émission de monnaie, on
débouche sur une inflation incontrôlée. Autant une inflation modérée peut avoir des vertus en
dégonflant les dettes, autant une inflation qui dérape débouche sur des plans d’austérité brutaux,
sans doute pires que ceux que nous connaissons aujourd’hui. Certes, il faudrait les combattre et
imposer une autre redistribution des richesses mais ceci prouve que des mesures techniques (sortie
de l’euro et planche à billets) ne peuvent dispenser des affrontements sociaux.

Cette idée simple, voire simpliste, selon laquelle la monétarisation de la dette est la solution passepartout
présente en outre un défaut majeur, celle d’entériner le déficit. Au lieu de s’interroger sur
les raisons de ce déficit et de montrer qu’il est le résultat des cadeaux fiscaux, on va expliquer que la
sortie de l’euro permettrait de le combler en fabriquant des francs. C’est faire fausse route : la
priorité, dans la conjoncture actuelle, c’est de mettre en avant la nécessité d’une réforme fiscale qui
revienne sur toutes les exonérations qui sont les causes du déficit. Au moment où se prépare un
budget de rigueur extrême, la question de savoir si on va baisser les dépenses publiques ou
augmenter les recettes est en effet strictement équivalente à celle-ci : qui va payer les pots cassés de
la crise ?

Une mesure (parmi d’autres) permettrait de faire d’une pierre deux coups : elle consisterait à
imposer aux banques un plancher de titres de la dette publique à une très faible rémunération. On
assurerait ainsi une source de financement au budget de l’Etat, et cette norme ferait fonction de
règle prudentielle. Les banques paieraient ainsi la garantie de fait que l’Etat leur assure en temps
de crise.

Au niveau européen, le choix semble être entre une aventure hasardeuse - la sortie de l’euro - et
une harmonisation utopique. Pour sortir de ce dilemme, il faut imaginer une stratégie combinée :
un pays prendrait des mesures unilatérales tout en proposant leur extension au niveau européen,
en s’appuyant sur leur caractère coopératif. Les libéraux et les souverainistes s’accordent pour dire
que cette voie est impraticable, les uns pour préserver les normes néo-libérales, les autres pour
faire de la sortie de l’euro le préalable à toute alternative. Or, cette idée est fausse, par exemple en
ce qui concerne la taxation et le contrôle des capitaux, et elle nous enferme dans une impasse
stérile.


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