Avec Geneviève Legay, désobéir |26 mars 2019| Par Thomas Coutrot dans son blog dans Médiapart

mardi 26 mars 2019

On aurait préféré le silence qui a accompagné les mains arrachées et les yeux crevés. Après quatre mois de blessures et de mutilations, voici la première marque de compassion présidentielle à l’égard d’une victime des violences policières : « je lui souhaite un prompt rétablissement, et peut-être une forme de sagesse. (…) il faut avoir un comportement responsable ». Que faire sinon désobéir ?

Par sa déclaration cynique, - la vieille dame n’avait rien à faire là, la police n’a fait que son travail -, le président de la République se désigne comme instigateur direct de l’agression contre Geneviève Legay, militante et porte-parole d’Attac 06, qui a eu le crâne fracturé lors d’une charge policière samedi dernier à Nice.

Certes, Geneviève a eu plus de chance que Zaineb Redouane, cette Marseillaise de 80 ans, tuée le 4 décembre à sa fenêtre par une grenade lacrymogène en plein visage. Mais avoir la vie sauve ne lui a pas épargné l’indécence de cet appel à la « sagesse » provenant d’un homme manifestement ivre de son pouvoir. Ce blanc-seing présidentiel attribué une nouvelle fois à une intervention policière totalement disproportionnée cautionne déjà les prochaines bavures. Si morts il y a, ce sera par préméditation venant des sommets de l’État.

Mais pourquoi ces vœux de bonne santé, même accompagnés d’insulte ? Il était évidemment difficile de garder le silence méprisant seul usité jusqu’à présent en pareil cas. Sur les réseaux sociaux, les images sont trop fortes, le contraste est trop vif entre la vieille dame armée de son drapeau pacifiste et la horde de policiers harnachés qui semblent la piétiner tandis que s’élargit la flaque de sang autour de sa tête.

Les images mais aussi le son. Car Geneviève s’est exprimée devant une caméra de télévision juste avant la charge policière : « on est là pour dire qu’on a le droit de manifester (…) La place, on la quittera quand on voudra. Après s’ils prennent la force... On verra bien ! Je n’ai pas peur, j’ai 73 ans, qu’est-ce qui peut m’arriver ? Moi je me bats pour mes petits-enfants. Contre les paradis fiscaux, et tout l’argent que les banques blanchissent, dans l’énergie fossile par exemple ».

Geneviève brandissait ainsi le flambeau de la désobéissance civile non violente, qu’Attac et un nombre croissant d’associations et de citoyens ont repris face à l’abus des pouvoirs. Fin de mois, fin du monde, même combat : l’inaction face au changement climatique, la complicité active envers les pollueurs et les fraudeurs, la servilité envers les ultra-riches sont devenues intolérables. Le chantage au risque d’extrême-droite n’est plus audible quand l’extrême-centre lui ressemble sans cesse davantage. Face à ce système politique verrouillé comme jamais par les forces de l’argent, la résistance citoyenne doit prendre des formes nouvelles, à l’image des Gilets jaunes ou des jeunes associations écologistes comme ANV Cop 21 ou Extinction Rebellion.

La désobéissance civile adresse ce message aux citoyens : nous n’avons pas à accepter des lois iniques ou des interdictions de droits décidées par une élite irresponsable. Comme nous le rappellent les Gilets Jaunes, la démocratie, c’est le pouvoir du peuple, pas celui d’une classe politique à la dérive. Nous refusons que les droits sociaux et les écosystèmes soient sacrifiés au nom de la compétitivité, que les droits humains soient méprisés au nom de l’identité nationale, que les citoyens en lutte soient réprimés au nom d’un ordre injuste. Et puisque le système des médias, des partis et des institutions de cette république bloque toute reprise en main de la politique par les citoyens (cf le « Grand Débat » !), il nous appartient de désobéir, comme Geneviève.

Pas n’importe comment, bien sûr : brûler des banques ou des Fouquet’s, jeter des coktails Molotov, c’est risquer de tuer, et de décrédibiliser ainsi la cause qu’on voulait défendre. La fin ne justifie jamais les moyens, et la société que nous voulons se construit dans nos modes d’action d’aujourd’hui, respectueux de l’intégrité des personnes et de la nature. Pour autant il ne s’agit pas d’opposer les gentils manifestants écolos ou les « gilets jaunes pacifiques » aux méchants black-blocks : nous sommes tous en colère contre la même élite arrogante et violente. Mais désobéir avec humour et détermination, sans violence contre les personnes, c’est réduire l’attractivité des ultras et accroître le pouvoir citoyen. Un large champ est ouvert à notre imagination. Merci à toi Geneviève et porte toi bien ; nous sommes nombreux à relever ton drapeau et ton gilet jaune tombés par terre samedi dernier.

SOURCE BLOG DE THOMAS COUTOT DANS MEDIAPART


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