Deux petits articles des traités et puis plus rien ? par Jean-Marie Harribey

dimanche 13 avril 2008

Parmi les questions, voire les objections, qui sont posées ou faites aux auteurs de la pétition « Spéculation et crise : ça suffit ! », il y a celles-ci : « Supprimer les deux articles incriminés est-il suffisant au regard de la révision radicale des politiques économiques qu’il convient d’opérer ? » Plus grave encore : « N’est-ce pas se limiter à réclamer une meilleure régulation des marchés financiers ? N’est-ce pas entériner l’idée que ces marchés ne souffriraient que d’un « manque de transparence », d’une défaillance des « procédures de sécurisation des transactions », ou encore d’un défaut de « moralité » ? ».

Toutes ces questions sont les bienvenues car elles vérifient l’hypothèse qui est à l’origine de cette pétition : la société éprouve un besoin urgent de débattre de son avenir, plus que jamais menacé par la financiarisation de l’économie mondiale. Et même si ceux qui nous interpellent, parce qu’ils craignent de notre part une trop grande timidité, ne signent pas d’emblée (car nous espérons les convaincre) la pétition, le but commence à être atteint : la pétition est un geste politique à partir duquel nous pouvons tirer le fil de la pelote. Alors, allons-y.

1. Il faut mettre le système bancaire sous contrôle public.
Parce qu’il est nécessaire de retrouver l’usage public de la monnaie, par le biais de laquelle une politique économique peut être menée, non pas pour accélérer une croissance aveugle comme le préconisent ceux qui n’ont pas encore compris la gravité de la crise écologique, mais pour promouvoir des activités utiles socialement et l’emploi.
Parce que la Banque centrale européenne maintient une ligne dont la raison est de satisfaire les détenteurs de capitaux et leurs institutions financières : elle fait couler à flots le crédit pour ces derniers, afin de leur permettre de participer à la restructuration permanente du capitalisme mondial (fusions, acquisitions, leverage buy out, etc.) ; en revanche ce laxisme se pare de vertu orthodoxe quand il s’agit d’admonester les gouvernements qui auraient une minuscule velléité de « faire du social » (Mme Merkel, progressiste s’il en est, en sait quelque chose pour avoir osé envisager de créer un salaire minimum en Allemagne).
Parce qu’il convient de mettre fin à la confusion entre banques de dépôts et banques d’affaires, d’encadrer très étroitement les procédures de titrisation et de supprimer les paradis fiscaux dans lesquels toutes les institutions financières ont pignon sur rue.

2. Il faut porter la remise en cause du capitalisme néolibéral en son cœur.
Son cœur, c’est le partage de la richesse produite, la fameuse valeur ajoutée pour la captation de laquelle le système financier est organisé. D’abord en imposant des normes de rentabilité du capital de plus en plus élevées qui ne peuvent être atteintes que par la déconnexion des salaires vis-à-vis de la productivité du travail. Ensuite en détricotant la protection sociale (assurance maladie et retraites) pour drainer une épargne de plus en plus abondante vers les marchés financiers en mal de liquidités. Et il faut être doté d’une belle inculture pour prétendre que la capitalisation engendrera des richesses supplémentaires pour nourrir et soigner le troisième âge, et d’une encore plus belle dose de cynisme pour confier les retraites à la Bourse. Non seulement la finance est contre-productive, mais elle est improductive.
Le frapper au cœur en instaurant une fiscalité suffisamment progressive pour écrêter radicalement tous les revenus financiers distribués aux actionnaires et aux créanciers au-delà d’un seuil qui pourrait être celui du taux de croissance de l’économie.
Le dissuader de spéculer en taxant toutes les transactions financières avec des taux variables en fonction de l’ampleur du risque de spéculation.

3. Tout cela ne serait que technique [1] si l’enjeu n’était pas politique.
Politique car il s’agit d’enlever le pouvoir à ceux qui, non seulement détiennent l’argent, de l’argent en quantité astronomique, mais qui envisagent de soumettre à son rendement la moindre activité humaine, la moindre ressource, le moindre espace ou signe de vie.
Politique car le système financier est en train de faire école. Tout devient objet de spéculation : les hypothèques immobilières prises sur les ménages modestes, les matières premières en voie de raréfaction, l’eau dont la distribution tend à être monopolisée par trois multinationales, la terre vouée à produire des agro-carburants à la place de la nourriture, le climat dont le devenir est confié à une Bourse de permis de polluer, etc.
Politique car est en jeu la pérennité d’équilibres fragiles, tant écologiques que sociaux, à l’heure où des émeutes de la faim éclatent en Afrique et ailleurs parce que les politiques néolibérales ont fini par provoquer ce pour quoi elles étaient faites, à savoir l’enrichissement des riches et l’appauvrissement des pauvres.

Alors, deux petits riens, les deux articles de traités anti-démocratiques ? En 1931, Paul Valéry écrivait : « Le temps du monde fini commence ». Aujourd’hui, l’heure est venue de sonner la fin de la récréation pour le capital.

Notes
[1] Sur l’aspect technique, voir [« Les chemins tortueux de l’orthodoxie économique »->http://harribey.u-bordeaux4.fr/trav...


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