CONSTRUIRE
LA DÉMOCRATIE
Le cas exemplaire du
"budget participatif"
QU'EST-CE QUE LE BUDGET PARTICIPATIF ?
L'expérience la plus célèbre et la mieux réussie de "budget participatif"
au Brésil est celle de Porto Alegre, ville de 1,3 million d'habitants
située à l’extrême sud du pays dans l’Etat de Rio Grande Do SuL.
Tout a commencé en 1989. Le but poursuivi est essentiellement de faire
en sorte que la population participe activement à l'élaboration et
au suivi de la politique municipale qui la concerne.
La participation s'opère
d'abord sur une base territoriale : la ville est divisée en 16 secteurs.
Toute la population est invitée à préciser ses besoins et à établir des
priorités (habitat, éducation, santé...) au cours de réunions publiques
de ce secteur.
À cela s'ajoute une participation construite sur une base thématique permettant
la prise en compte d'une vision plus globale de la ville : elle inclut
différents secteurs sociaux (syndicats, entrepreneurs, agriculteurs,
étudiants, mouvements communautaires, etc.) et donne lieu à cinq commissions
thématiques (transport, éducation, développement économique, etc.).
Enfin, la municipalité représente évidemment le troisième
acteur du budget participatif. Elle est présente dans les réunions
de secteurs et réunions thématiques pour fournier des informations
techniques, légales ou financières et fait des propositions.
Finalement, chaque secteur et chaque commission thématique présentent ses
priorités au Cabinet de planification. Les choix effectués précédemment
sont à la base de l'élaboration du projet de budget et du travail
effectué par le Cabinet de planification.
Après divers circuits complémentaires dans des commissions au sein desquelles
les secteurs et les commissions thématiques ont leurs délégués, le
budget est finalement présenté et voté par la Chambre des élus municipaux.
Au
cours de réunions diverses, la population évalue la réalisation des
travaux et services prévus dans le budget participatif de l’année
précédente.
Note DIAL
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Le budget participatif est un instrument de démocratisation
de la gestion publique et promeut la décentralisation des décisions
politiques et économiques. Il s'appuie sur deux principes fondamentaux.
Le premier est le principe
de la participation universelle et directe. Tout citoyen a le droit
de débattre et de discuter les orientations de l'État. Ainsi, le plus
modeste habitant de tel État ou commune a le droit de manifester son
opinion, indépendamment de son appartenance à une institution, sans
avoir à demander l'autorisation à un "coronel" ou un "patron",
et en ayant les mêmes droits qu'un "doutor". La participation
populaire est exercée de façon directe, sans intermédiaire.
Le
second principe qui fonde le processus concerne la présentation et
la discussion de tout le budget public de l'Etat : le citoyen aura
l'occasion de délibérer sur les diverses composantes de la dépense
publique (salaires, coûts d'entretiens, de fonctionnement, d'investissements,
charges financières et autres ...) et de la recette publique.
Dans
ce sens, ce processus mis en place au Brésil, principalement par les
gouvernements démocratiques populaires et par les administrations
populaires, représente une véritable rupture par rapport au modèle
qu'Agnès Heller et Ferenc Fehér ont appelé "la dictature assise
sur les nécessités humaines". Ce phénomène, selon ces deux auteurs,
était une caractéristique du "socialisme réel", en contradiction
avec une notion importante chez Marx - celle de la satisfaction des
besoins humains -, et imposé par un régime autoritaire qui empêchait
la libre élaboration, manifestation et satisfaction de ces besoins.
En
permettant que tout un chacun, sans exclusion aucune, puisse participer
aux assemblées, le budget participatif rompt avec l'héritage de l'Union
Soviétique, qui avait transformé la dictature du prolétariat en tant
que classe en une dictature de la "nomenklatura" du parti
stalinien. Il rompt par conséquent avec l'identification immédiate,
automatique et asphyxiante entre parti et société, parce que les partis
de gouvernement cessent d'être les seuls propriétaires des "véritables
intérêts de la société", mais ils délèguent à l'ensemble de la
population le droit d'être sujet direct dans le processus d'élaboration
des décisions qui touchent à sa vie sur le plan politique et économique.
Dans
ce sens, le budget participatif est exactement l'inverse de tout mouvement
de division partisane où celui qui gouverne l'État identifie société
et parti. Il s'agit de l'élaboration libre et de la reconnaissance
des besoins humains, ce qui signifie non le système des partis mais
le contrôle social sur les activités de l'Etat.
Outre ce contrôle social,
le budget participatif favorise l'exercice d'une citoyenneté active,
véritable force de proposition. Ainsi, le processus du budget participatif
est un espace de formation et d'élaboration d'une éducation civique,
un espace collectif où les individus s'approprient du savoir jusqu'à
présent réservé, où ils n'attendent plus passivement que les gouvernants
décident de l'attention à donner aux diverses demandes et où ils ne
se soumettent plus aux pressions des fonctionnaires ou leurs intermédiaires.
C'est
donc une pratique qui rompt avec les politiques fondées sur le clientélisme,
le paternalisme, le patrimonialisme, et avec le "donnant-donnant"
qui a toujours régné dans la société brésilienne.
Par
ailleurs, en donnant à davantage de personnes un accès aux informations
et aux débats sur les ressources de l'État, le budget participatif
permet que les gouvernements cessent d'être soumis au cercle des acteurs
traditionnels de la société et aux "maîtres du savoir",
qui ont toujours dirigé l'Etat en fonction des convenances de leurs
groupes politiques et contre les intérêts de la majorité exclue des
cercles du pouvoir. Ces secteurs-là sont ceux qui se sont toujours
considérés comme les seuls autorisés à exercer une influence sur l'Etat.
Jusqu'alors,
le budget public était entre les mains de quelques "politiciens
et intellectuels régionaux" qui en tiraient des "bénéfices"
pour leurs communes. Désormais il est élaboré par plusieurs partenaires.
L'essence
du processus est celle-ci : le gouvernement cesse d'être soumis uniquement
à la pression des groupes plus favorisés et éclairés, qui ont plus
de possibilités d'accès aux agents publics et aux formateurs d'opinion.
En s'adressant à toute
la communauté, le gestionnaire des biens publics prend le risque d'accepter
la participation de quiconque s'intéresse aux affaires de l'Etat.
Plus encore, le citoyen est appelé à délibérer sur la nature et le
volume des travaux publics et des services à fournir, et se trouve
impliqué concrètement et directement dans l'optimisation des ressources
publiques et dans l'efficacité des prestations de services. En définissant
les priorités dans l'utilisation des ressources, l'individu qui intervient
sur le budget participatif délibère sur le rôle de l'Etat. Dans une
société où s'impose dans les médias et chez une grande partie des
classes dominantes la conception néo-libérale d'un Etat minimal, il
est important de constater que les citoyens qui interviennent sur
le budget participatif décident en pratique le contraire de ce qui
était imposé par l’idéologie ambiante. En d'autres termes, à chaque
session de discussion annuelle, les participants attendent de l'État
qu'il leur accorde plus d'attention et atténue les difficultés qu'ils
rencontrent.
Il convient de signaler
deux limites qui sont en train d'être discutées ces derniers temps,
notamment à propos de l'expérience de budget participatif menée depuis
douze ans à Porto Alegre. En premier lieu, si le budget participatif
s'est révélé comme un puissant moyen pour attirer les secteurs organisés
de la société, il est encore difficile d'y faire participer les individus
exclus économiquement et socialement de la cité. En deuxième lieu,
on constate une tendance marquée à la prédominance de l'intérêt immédiat
et local, au détriment d'un débat plus général, à moyen et à long
terme. Ce qui attire les gens aux assemblées du budget participatif.
c'est la possibilité de discuter sur leur rue, l'école de leur enfant,
la place de leur quartier, plusieurs fois au détriment d'un débat
sur les orientations à prendre pour la ville.
Grâce
à cet instrument de démocratie directe, le citoyen obtient le moyen
d'exercer la plénitude de sa citoyenneté, et pas seulement son devoir
d'électeur une fois tous les quatre ans puisqu'il acquiert le droit
d'exercer sa citoyenneté pendant toute la durée du mandat, en contrôlant
et en intervenant dans les actions du gouvernement.
Le
renforcement de la démocratie, favorisé par la participation populaire,
directe et universelle par le biais du budget participatif, dérange
ceux qui se sont engagés en faveur de l'institutionnalisation du pouvoir
contre toute forme de démocratie populaire.
Par
suite, les arguments utilisés par l'opposition et les secteurs traditionnels,
selon lesquels "le budget participatif est un espace partisan",
ne sont qu'une invention astucieuse avec laquelle ils cherchent à
leurrer leurs communautés, puisqu'ils ne peuvent pas afficher clairement
le fondement corporatif de leurs intérêts.
En
vérité ce n'est pas le côté partisan du budget participatif qui dérange
ceux qui le critiquent, mais la démocratisation sociale des décisions
qu'il favorise. Ils perçoivent qu'ils perdent ainsi leur influence
sur l'appareil d'Etat, ne pouvant plus diriger le gouvernement par
les circuits bureaucratiques de l'Assemblée législative, ni par les
chantages du pouvoir économique, ni par la grande presse.
A
ceux qui ironisent en disant que ce processus recrée une nouvelle
commune de soviets, on peut rappeler ce que disait Rousseau - qui
n'était pas du tout un communiste mais un penseur bourgeois - quand
il enseignait que le peuple ne doit jamais créer un Etat séparé de
lui et ne doit jamais abandonner sa souveraineté dont l'expression
suprême réside dans les assemblées. Or Rousseau était un grand défenseur
de la démocratie populaire. Un de ceux qui trouverait outrageant que
quiconque s'arroge le droit d'utiliser le mot démocratie pour dissimuler
dans le discours nébuleux la nature particulière de ses propres intérêts.
Mais il arrivera le jour où le lamentable "politicien
de clocher" se décidera à éclairer son esprit par la lecture
d'un auteur comme Rousseau.
NB :
Ce texte a été élaboré à partir
des textes : A Conquista da Participaçâo Popular (La
conquête de la participation populaire)
et Democracia Participativa versus Poder Paroquial (Démocratie
participative contre pouvoir de clocher)
de Paulo Denizar Vasconcelos Fraga ;
et Adeus ao Poder Paroquial (Adieu au pouvoir
de clocher) de José Carlos Reis, Paulo
Denizar V. Fraga et Marcel Frisson.
Traduction DIAL.