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Mondialisation
Criminalité financière

Les Paradis Bancaires & Fiscaux,

Trous Noirs de la Finance Mondiale

Les paradis fiscaux sont la plaie de la finance internationale. L’argent de l’évasion fiscale, de la corruption et des mafieux de tous bords y trouve des havres de paix. Pourtant, rien ne nous oblige à supporter ces zones de non-droit de la mondialisation. Encore faut-il que la classe politique ait le courage, au niveau international, de s’affronter aux banquiers qui les utilisent

Définitions

On distingue les paradis fiscaux et les paradis bancaires :

Paradis fiscal : pays où la reglementation monétaire et la fiscalité plus souple, plus favorable que dans le reste du monde, attirent les capitaux étrangers (Petit Robert).

Secret bancaire : secret professionnel, appliqué aux banques, à leurs organes et à leurs employés. "Les directeurs et employés des banques ainsi que tous ceux qui ont connaissance des écritures, livres, opérations et correspondances bancaires sont tenus au secret absolu en faveur des clients et ne peuvent divulguer ce qu’ils savent sur les noms de la clientèle, sur ses avoirs et sur les questions qui la concernent à qui que ce soit: particulier, pouvoir public, autorité administrative, militaire ou judiciaire sauf autorisation écrite de l’intéressé, de ses héritiers ou de ses légataires ou sauf déclaration de sa faillite et à moins qu’il ne surgisse un litige sur une opération bancaire entre les banques et leurs clients..."(Article 2, loi du 3/9/56 sur le secret bancaire au Liban)

On distingue l’économie d’impôt, légale, de la soustraction d’impôt et de la fraude fiscale qui ne le sont pas:

Economie d’impôt (ou épargne fiscale): utilisation par un contribuable ou une société des possibilités offertes par le droit pour réduire ou éviter l’impôt (par exemple: délocalisation des actifs successoraux).

Soustraction d’impôt: violation par un contribuable ou une société d’une obligation que lui impose la loi, omission de déclaration de revenus ou d’éléments de fortune et en conséquence non taxés. La soustraction d’impôt fait l’objet d’une procédure administrative dirigée par les autorités fiscales et est passible d’une amende. Les banques, en tant que tiers, n’ont toutefois pas à fournir des renseignements directement aux autorités fiscales.

Fraude fiscale: mise en oeuvre par un contribuable ou une société de moyens destinés à tromper le fisc en utilisant notamment des documents faux, falsifiés ou inexacts tels que livres comptables, comptes de résultat, bilans, certificats de salaires et autres attestations. La fraude fiscale peut donc etre apparentée à une escroquerie ou à un faux dans les titres.

Causes historiques

Depuis l’antiquité, des territoires, souvent des îles des Caraïbes ou du Pacifique, ont constitué des zones de protection pour les flottes des grandes puissances : ports d’accueil des navires pour se protéger des pirates ou du mauvais temps...

Les premières motivations économiques remontent aux années 1920-1930, afin de soustraire les grandes fortunes à l’impôt (île de Man, Bahamas, Liechtenstein, Suisse, Luxembourg). Après la crise de 1929 et l’avènement des politiques keynésiennes, la pression légale et fiscale augmente dans les pays développés (Etat Providence), créant un décalage avec les législations des zones à faible fiscalité (Suisse, Luxembourg, Monaco). Le phénomène connait une accélération à partir de la seconde guerre mondiale ; dès lors, se développe une véritable stratégie économique de la part de certains Etats, notamment d’Amérique latine qui, ne reçevant pas l’aide économique promise, vont se mettre à "commercialiser leur souveraineté", pour faire face à la dégradation des termes de l’échange sur le commerce des matières premières.

Ces zones de faible pression fiscale attirent les capitaux internationaux, les holdings financiers d’entreprises multinationales, mais aussi l’argent sale. Dans ces territoires des législations tolérantes seront mises en place pour sécuriser et séduire les détenteurs de capitaux, instituant ainsi, de façon toujours plus "légale et officielle", les paradis bancaires et fiscaux.

Dans les années 1960, la formation d’énormes masses d’eurodollars cherchant à contourner les restrictions sur la rémunération de l’épargne aux Etats-Unis, mais aussi et surtout parce que trop de dollars sont mis en circulation par les Etats-Unis, et à leur bénéfice, commence à donner naissance à ce qui sera la prochaine "bulle financière". Les années 1970 constituent la phase suivante du développement des paradis bancaires et fiscaux, car ils deviennent l’un des éléments structurants de la mondialisation financière qui prospère d’eurodollars en pétrodollars à la faveur des changes flottants sur les cendres de Bretton Woods (fin de la convertibilité du dollar en or en 1971). Tous les grands établissements financiers, favorisés par la place financière de Londres, ont gagné au développement de ces zones à fiscalité faible ou inexistante, en faisant circuler les capitaux nomades à la recherche du profit. Désormais, mondialisation financière, paradis bancaires et fiscaux et argent sale se développent de façon concomitante.

Localisation

Europe: Andorre, Dublin, Jersey, Guernesey, Alderney, Sark, Gibraltar, Ile de Man, Luxembourg, Suisse, Liechtenstein, Monaco, Malte, Vatican, Chypre.

Asie: Labuan Philippine, Haïnan et Hong-Kong (Chine), Singapour, Afghanistan, Liban, Emirats Arabes Unis, Bahreïn et Oman.

Océan Indien: Maldives, Seychelles et Maurice.

Amérique Centrale: Bélize, El Salvador, Costa Rica et Panama.

Amérique du Sud: Uruguay et Paraguay.

Océan Pacifique: Polynésie Française, Pitcairn, Cook, Tonga, Fidji, Vanuatu, Samoa Occ., Nauru et Marshall.

Océan Atlantique: Cap Vert, Saint Hélène et Madère.

Afrique: Ceuta, Gambie et Libéria.

Antilles: Bermudes, Bahamas, Turks & Caïcos, République Dominicaine, Iles Vierges, St Kitts & Nevis, Anguilla, Antigua et Barbuda, Montserrat, Barbades, St Vincent & Grenadines, Caïman, Jamaïque, Aruba, Antilles Néerlandaises et Grenade.

Au Luxembourg, les services financiers représentent 20 % du PIB, soit 1900 milliards de FF, supérieur au budget de la France (1659 milliards de FF en 1996) et ont été multipliés par trois en cinq ans.

Dans les iles Caïman (35000 habitants, 20000 sociétés immatriculées), 575 banques (dont seulement 106 physiquement présentes) gèrent 3000 Milliards de FF, presque 2 fois le budget annuel de la France et 84 millions de FF par habitant de l’archipel!!

Conséquences

L’évasion fiscale

A titre d’exemple, News Corp., l’entreprise de M.Rupert Murdoch, ne paye que 1,2 milliards de FF d’impôts sur les sociétés (l’équivalent de 7 hôpitaux ou 300 écoles primaires), soit un taux d’environ 6 % seulement, pour un résultat de 32 milliards de FF. Le groupe comprend 800 filiales, dont une soixantaine de sociétés enregistrées das des paradis fiscaux tels que les îles Caïman, les Bermudes, les Antilles néerlandaises et les îles Vierges. Cette organisation permet à News Corp.de transférer une partie de ses bénéfices à News Publishers, une société de droit bermudien, qui réalise depuis sept ans 16 milliards de FF de bénéfices nets alors qu’elle ne compte apparemment aucun salarié ni aucune source visible de revenus.

Le Blanchiment de l’argent sale

Les trafiquants de drogue occupent une place de choix parmi les utilisateurs des paradis fiscaux. Le commerce de la drogue représente 8 % du commerce mondial (ONU 1997) et le PCB, ou Produit Criminel Brut, atteint 15 % du commerce mondial (4800 milliardsde FF) dont 50 % doivent être blanchis pour être réintégrés à l’économie légale. Plus de 1800 milliards de FF sont blanchis chaque année dans le monde et le blanchiment de l’argent de la drogue est comparable à la somme de l’ensemble des investissements dans les pays émergents (source FMI).

Les circuits de blanchiment

Les opérations de blanchiment se composent traditionnelement de trois étapes:

Le prélavage, qui consiste à introduire l’argent liquide dans le circuit économique et financier normal, par l’intermédiaire de sociétés relais dans les paradis fiscaux.

Ensuite le lavage, qui sert à brouiller l’origine des fonds par des opérations diverses.

Enfin le recyclage, qui consiste à faire resortir les sommes blanchies dans des activités diverses (consommation, immobilier, investissements productifs), pour les utiliser sans risque après leur avoir donné l’apparence d’une origine licite.

La réalité est aujourd’hui plus complexe, notamment parce que le volume des capitaux de la haute finance criminelle est tel que ces fonds peuvent difficilement réapparaître dans l’économie réelle. Ainsi, durant les dix dernières années, plus de mille milliards de dollars se sont évanouis (Trou noir) de l’économie réelle pour "surfer" sur les marchés virtuels de la finance mondiale. Gérés à partir des paradis bancaires et fiscaux, les intérêts qu’ils produisent suffisent à assurer le train de vie des parrains mafieux.

Spéculation/Instabilité monétaire

La libéralisation des marchés a transformé les paradis bancaires et fiscaux en points de passage obligés des capitaux. Ils obéissent à deux régles: sécurité (stabilité de la place financière et stabilité politique du pays dans lequel ils sont engagés) et profitabilité. Les 126.000 milliards de FF aujourd’hui sous contrôle des spéculateurs et gestionnaires de fonds (dont 50 % américains) dépassent le PNB de tous les pays industriels réunis.

Le moindre déplacement au gré de l’humeur de quelque gestionnaire peut soit créer les conditions économiques de la croissance (Etats-Unis), soit causer une crise économique (Asie, Brésil, Russie).

Prise de conscience

L’appel de Genève, cosigné par les juges européens jouissant d’une forte notoriété pour leur compétence dans les grandes affaires de délinquance et de criminalité politique et financière, constitue aujourd’hui l’une des initiatives les plus emblématiques de la prise de conscience de la lutte pour le démantèlement des paradis fiscaux et bancaires. Il a été relayé par la signature de milliers de citoyens.

Car, pour le juge français Renaud Van Ruymbeke, seule la répression des délinquances "mineures" reste dans le domaine de l’action de l’Etat de droit. Les magistrats sont en première ligne pour constater leur impuissance face à la réelle impunité dont bénéficie la criminalité financière profitant des immenses possibilités des technologies de l’information et de la complicité objective des autorités politiques. Ces dernières, soucieuses de ne pas contrarier la finance internationale qui détient les capitaux, sont paralysées devant les phénomènes à l’oeuvre (par ailleurs, elles utilisent quelquefois les mêmes circuits pour les moins recommandables de leurs activités). Ainsi le même juge n’hésite pas à écrire: "En l’état actuel de la législation européenne, les chances offertes à un magistrat de démanteler un réseau criminel sont pratiquement nulles. Ceux qui prétendent le contraire mentent". Même les institutions internationales, comme l’O.C.D.E., considèrent également que la situation créée par l’existence des paradis fiscaux est préoccupante.

L’administration française des finances, mais aussi les policiers, ainsi que plusieurs rapports de parlementaires fraçais, associent clairement le développement de la corruption et de la criminalité économique à l’existence des paradis fiscaux et bancaires. Les citoyens réagissent de leur côté, et plusieurs associations et O.N.G. telles qu’ATTAC, dénoncent en permanence cette criminalité financière permise au coeur même de l’Europe. Celle-ci prive les Etats de recettes fiscales massivement détournées. La conséquence est de faire porter sur les seuls revenus du travail, qui sont rivés à l’économie réelle et ne bénéficient pas de la mobilité permise aux capitaux, tout le poids de la taxation nécessaire au fonctionnement des sociétés modernes.

Citons une fois encore le juge R Van Ruymbeke: " L’Europe doit choisir entre la liberté de ses citoyens et celle de ses criminels ou de ses banquiers. C’est à chacun de nous de faire le nécessaire pour que l’idée de bien commun survive à la révolution financière".

Moyens d’action

Une action est possible auprès des parlementaires, nationaux et européens, afin de renforçer les moyens d’investigation financière et de mobiliser la classe politique (cf.l’abandon de l’AMI ). Il faut:

Interpeller nos responsables politiques sur leur volonté réelle de réforme (alors qu’ils participent au sommet de la finance à Davos).

Au niveau national (et européen): demander une Mission parlementaire sur les paradis fiscaux, bancaires et judiciaires sur le territoire européen et les perspectives de démantèlement.

Au niveau européen: demander la disparition des paradis bancaires et fiscaux à l’intérieur même des pays membres de l’Union (cf.liste plus haut) et l’harmonisation des taux d’imposition.

Une plus grande transparence auprès des grandes banques internationales : un classement du degré de criminalisation, évaluant la participation dans le blanchiment de l’argent sale, pourrait être rendu public par les services de l’Etat.

Débattre sur le renforcement des pouvoirs de coopération judiciaire :"passer de l’entrave pénale à l’entraide pénale"; "développer l’Europe judiciaire dans le respect des droits des personnes".

Développer des sanctions internationales contre les territoires qui servent la criminalisation de l’économie mondiale : embargo informatique sur les banques offshore pour empêcher les transactions avec les places financières principales; annulation de toute transaction commerciale avec un établissement bancaire situé dans un paradis fiscal. Un exemple : l’éfficacité des menaces des Etats-Unis contre les banques suisses concernant les biens volés aux juifs par les nazis.

Mise en service d’une juridiction supranationale pour poursuivre le crime économique, c’est-à-dire une tribunal pénal international, sur le modèle du Tribunal International pour les crimes contre l’Humanité.

 

Commission "Paradis Fiscaux & Traités Internationaux" ATTAC-Marseille 07/99

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