Du danger du monopole de la presse : L’exemple de Ouest France

samedi 1er octobre 2005, par Webmestre

A l’occasion 3ème édition de Ciném’ATTAC au TNB, consacrée cette année au thème « médias et pouvoir », ATTAC-Rennes a tenté une analyse succincte du rôle de Ouest-France - quotidien réputé centre-droit d’obédience catholique qui détient le quasi monopole régional - dans la campagne du référendum sur le projet de Traité Constitutionnel Européen (TCE). Cela mériterait une étude plus approfondie sur une période longue de la part de spécialistes universitaires. Il est en effet remarquable que les seuls départements de l’Ouest où le Oui est majoritaire correspondent à ceux où ce quotidien est particulièrement implanté. Nous nous contenterons ici de relever des tendances frappantes sur la base des écrits de ce quotidien du 16 mars au 15 juin 2005.

- le partage des rôles entre l’éditorialiste et les journalistes de pages intérieures ;

- du danger d’un monopole de la presse ;

- le Non est européen et vient de loin.

Le partage des rôles

Les éditoriaux :

A François Régis Hutin, patron du journal, les principaux éditoriaux, aux journalistes des pages intérieures d’expliciter les détails, tel est depuis toujours le partage de la pensée et de l’action. Vous ne lirez que très rarement l’éditorialiste citer des chiffres précis : il monte ses « démonstrations » sur la base de valeurs morales (essentiellement la fraternité) et sur des principes politiques généraux et généreux, le tout sur un ton toujours courtois mais ferme. Batailles en faveur des « réformes » MEDEF-Gouvernements sur nos retraites et notre Sécu, ou pour un Oui évident au projet du TCE, la méthode est toujours la même. Durant la campagne du référendum, du moins entre les deux dates sus-citées, F R Hutin s’est évertué à ne pas parler ... du contenu du projet de traité !

Tous les éditoriaux étaient en effet axés sur les vertus de l’Union Européenne.
Les principaux arguments : la place de la France dans la construction européenne, la paix en Europe, et bien sûr la fraternité. Etait-ce vraiment les questions posées explicitement ou implicitement par le référendum ? Monsieur FR Hutin, vous avez tapé à côté ! Sauf sur un point crucial : place de la France, paix, fraternité, le tout obligatoirement dans « l’économie de marché » (édito du 28-29 mai) naturellement et inéluctablement mondialisée. C’est justement ce que les Français ne supportent plus, suivis par d’autres peuples européens (voire le point 3 de ce document).

Les éditos sont scandés de la même manière : le paradis et l’enfer, dans l’ordre ou le désordre selon le sujet. « La France est exemplaire » comme leader de la construction européenne, et si le Non souverainiste l’emporte *, les autres pays ne seront plus aussi admiratifs (16/4) ; nous avons lâchés les Polonais et les Tchèques aux appétits de Hitler puis à l’empire soviétique, l’Union Européenne consolide la réunion des peuples : qui est pour un Non à cet idéal ? (23/4 et 8/5) ; « l’espérance des pauvres et des opprimés » : une ère de tranquillité peut s’ouvrir pour le monde si l’Europe comprend « sa mission de charité », la France ne peut donc s’enfermer dans le refus de la construction européenne (24/4) ; l’Union Européenne est la poule aux œufs d’or (pour qui ?), le Non serait une tentative d’étranglement applaudie par tous les « conservateurs » du monde (30/4) ; l’Union Européenne fait la paix, « si le Non l’emporte, ce serait une illusion que d’imaginer que l’on pourrait négocier quelque chose de meilleur », il faut exister au plan politique, non pour s’opposer mais pour coopérer (21-22/05). Dans l’éditorial de la veille du scrutin, véritable chef d’œuvre, FR Hutin exalte les Français à voter Oui, ... dans la tradition de Ouest-France précise-t-il. Le problème est évidemment que nombre de Français, et beaucoup d’autres Européens, ont compris que ce qui est proposé, ce n’est pas la coopération entre les peuples, mais la concurrence de « l’économie de marché » chère à FR Hutin pour abattre le modèle social européen afin d’enrichir la finance internationale sous la houlette américaine, et que c’est cela qui est porteur de conflits et de guerre. M. Hutin, n’avez-vous pas compris que les conflits et les guerres naissent lorsque une poignée de financiers s’enrichit en appauvrissant la masse des travailleurs ?

29 mai, coup de massue : l’éditorialiste ne semble pas avoir pris toute la mesure de la giffle. Le 30 mai, il prend acte que « Le TCE est rejeté par la France, l’Union Européenne continue » (tiens, tiens !), « il faut retrouver l’unité des Français » et « repenser les relations entre les institutions et les citoyens » (l’inverse ne lui viendrait-il pas à l’idée ?). Il faudra attendre fin juin pour que FR Hutin prenne la conscience exacte du désastre : dans un fameux édito intitulé opportunément « il est minuit moins cinq », l’éditorialiste prédit l’apocalypse, c’est à dire que la situation sociale serait telle que l’on se rapprocherait d’une révolution, et il somme tous les élus politiques de l’aire d’attraction de Ouest-France de chloroformer dare dare leur circonscription.

* O-F mettra du temps avant de distinguer le non souverainiste et le non antilibéral (avril semble-t-il).

Les détails et explications aux journalistes des pages intérieures :une question, une seule réponse : « OUI »

Après une période d’occultation délibérée du contenu du traité constitutionnel , Ouest-France s’engage dans une campagne explicative. Elle consiste d’abord en un survol général du texte avec commentaires express centrés sur la partie 1 et 2, en évitant la partie 3 ! A partir de la mi-avril et pendant un mois, certains sujets sont abordés avec plus de précision à travers l’argumentaire univoque de la rubrique « une question, une réponse », en répondant d’abord à des craintes souverainistes voire nationalistes. Viennent ensuite, les sujets de société : la démocratie, l’héritage chrétien, les services publics, l’environnement, l’IVG, l’homosexualité...puis les thèmes économiques et sociaux. Fin mai, le TCE est comparé aux traités antérieurs « ce que la constitution veut changer » (21-22/5 et 28-29/5) en répondant cette fois aux arguments du Non anti-libéral qui sont attaqués de front (« plusieurs arguments passés au crible de la Constitution : vrai ou faux ? Quelques repères », 25/5).

Ces analyses sont formulées sans citer les articles du TCE (par ex : énumération des droits dits garantis par la charte des droits fondamentaux, 29/3), ou en les tronquant (par exemple sur le droit de pétition). Lorsque les arguments du Non antilibéral sont rapportés, ils sont le plus souvent déformés ou mêlés à ceux du Non d’extrême droite.

Désinformation et déformation du NON antilibéral

Dans les pages réservées aux informations sur le référendum, un déséquilibre flagrant est apparu entre la place réduite faite aux partisans du Non et l’omniprésence du Oui. L’activité militante locale en faveur du Non, notamment celle des collectifs pour le Non en Ille et Vilaine a été particulièrement minimisée voire censurée (compte-rendu succinct des conférences de presse et du meeting du 17 mai à la halle Martenot, non parution de plusieurs communiqués).

Parallèlement, les arguments du Non antilibéral sont présentés de façon caricaturale ou erronée (par ex, à propos de la dénonciation du caractère libéral du texte par l’appel des 200 : « Dans cette perspective, le libéralisme serait donc un outil d’asservissement de la même nature que le communisme soviétique. C’est oublier un peu vite que les « libéraux » historiques sont ceux qui se sont opposés à la monarchie, qu’ils sont en quelque sorte les inventeurs de la démocratie (...) » (17/5). Les arguments du Non antilibéral sont volontiers mélangés à ceux du Non d’extrême droite, permettant de discréditer le premier : « Et le plus gênant pour la gauche « morale » est que si « non » l’emporte, le « non » d’extrême droite lui aura fourni ses plus gros bataillons » (17/5 : « les arguments des partisans du non »). Les sondages ont montré l’inanité de ces arguments.

Ouest-France, à travers les prises de position régulières et appuyées de ses éditorialistes, mais également le traitement de l’information sur la campagne ainsi que ses rubriques explicatives du TCE, a partialement défendu le Oui au référendum sur le TCE. Adaptant sa méthode aux évolutions de la campagne et des sondages, s’adressant tour à tour aux hésitants de droite puis de gauche, ce journal, qui jouit d’une position quasi hégémonique dans l’ouest de la France, s’est comporté comme un véritable organe de propagande en faveur du Oui dans cette région.


Du danger d’un monopole de la presse

Le rachat annoncé par Ouest-France de trois quotidiens « le courrier de l’Ouest » à Angers, « le Maine libre » au Mans, « Presse Océan » à Nantes ainsi que de la télévision locale « Nantes 7 » donne à Ouest-France une position hégémonique pour la production de l’information dans six départements de l’ouest de la France. Cette extension de Ouest-France ainsi que celle du groupe Socpresse dans le Nord, l’Est, une partie du Sud-Est et par le groupe Lagardère dans le Sud-Est, a conduit L’Observatoire Français des médias (OFM) à exprimer « son inquiétude quant à la poursuite de la constitution d’ensembles géographiques de plus en plus vastes où un seul entrepreneur de presse contrôle l’édition d’un journal quotidien d’information général et politique. »1. L’OFM a également dénoncé « les conséquences des modalités du développement de la télévision dans ces régions, qui plutôt que de corriger cette situation menace aujourd’hui de l’aggraver considérablement » 1. En effet, la chaîne de télévision locale et le principal titre de presse écrite quotidienne se trouvent contrôlés par les mêmes intérêts dans plusieurs villes (par exemple pour Ouest-France : Angers et Nantes).

Cette concentration de la presse écrite et télévisuelle par quelques grands groupes nationaux apparaît totalement incompatible avec le pluralisme de l’information.
1 Observatoire français des médias, communiqué du 18/2/2005


De la nécessité de la démocratie

FR Hutin, à la tête de Ouest-France, prône à longueur d’année la « libre Entreprise » (pour qui ?), l’économie de marché, donc la concurrence... et fait l’inverse : il démontre par son action concrète que la concurrence, c’est tuer les autres pour obtenir le monopole sur tout le grand Ouest de la France. Le monopole de quoi ? Des bonnes et saines idées bien sûr, celles du MEDEF ultra libérales en réalité, vendues n’en doutons pas au nom de la démocratie et de la fraternité.
Pluralisme ? en pages intérieures petits encadrés pour « équilibrer », grandes photos et petits textes.
Que Ouest-France soit un quotidien d’opinion, c’est son droit, sauf quand il possède le monopole.

Devant les monopoles, il n’y a que deux solutions :
- soit le démantèlement,
- soit la démocratisation complète : un Conseil d’Administration et un conseil éditorial formé de toutes les forces vives et laïques de la région. Chiche ?
Qu’en pensent les journalistes de Ouest-France ?


LE NON VIENT DE LOIN, PARTOUT EN EUROPE

Un article intéressant de B. CAUTRES sur "Les opinions publiques européennes et la construction européenne", paru dans la revue Questions Internationales, N°13, mai-juin 2005, p. 89. Voici un résumé de son analyse sur l’évolution des opinions des européens sur la construction européenne depuis les années 80, et qui montre que le Non français est dans la logique d’un scepticisme global en Europe :
- Une tendance générale dans tous les pays européens : "plus les questions sur la signification et les implications d’une plus forte intégration européenne sont précises et touchent aux conséquences de cette intégration sur la vie quotidienne des citoyens, moins elles suscitent en général l’adhésion".
- Sur la période 1982-91, la montée du soutien à la construction européenne a été sensible, 90-91 représentant un sommet. En 1991, 72 % des Européens déclaraient que l’appartenance de leur pays à l’UE était une bonne chose, le taux tombe à 49 % au printemps 99 et 48 % à l’automne 2003.
- En 1989-90, 80 % des Européens se déclaraient favorables à une Union politique, 52 % à l’automne 2003. (Il s’agit là de pourcentages globaux, la situation de chaque pays européen diffère significativement).
- Indicateur de regrets en cas de dissolution de l’UE : "on peut même constater que l’indifférence et les regrets qu’entraînerait une telle hypothèse d’école étaient au même niveau (...) ce sont les deux-tiers des Européens de l’ex-Europe des Quinze qui, à quelques semaines des élections européennes de 2004, semblaient détachés de tout soutien ferme à la cause de l’intégration européenne" (p. 93).
- "Si la dimension européenne semble aller de soi pour la monnaie ou l’aide aux régions, il n’en va pas de même pour la politique de lutte contre le chômage", la protection sociale, les valeurs (politique culturelle, enseignement), défense, police : ces domaines d’action publique recueillent les niveaux d’adhésion les plus faibles à une décision communautaire.


Sens du vote du 29 mai 2005 (extraits doc. ATTAC EC1)

Regain d’intérêt et crise de la représentation

Il y a un regain modeste d’intérêt qui touche aussi les classes populaires, mais l’intérêt reste beaucoup plus grand dans les catégories privilégiées que dans les classes populaires. Le vote NON manifeste la crise de la représentation politique et médiatique.

L’ Europe est le motif principal du vote

Comme motif du vote, l’Europe est en forte hausse, mais l’écart reste très grand entre les privilégiés (très motivés par l’Europe - 70%) et les classes populaires qui motivent leur vote à la fois par l’Europe (49%) et par les problèmes nationaux (45%).

Le NON de gauche est-il européen ?

L’enquête CSA révèle un grande inquiétude vis-à-vis de la construction européenne des électeurs ayant voté NON (67%). La volonté de renégocier le traité est très forte dans le NON de gauche (70%) et peut laisser penser que le NON de gauche est européen.

Le NON de gauche représente 31,3 % des votants

Le NON représente 54,67% des votants ; le NON de gauche 31,3% ; le NON de droite et d’extrême droite représente 23,7%. Votent massivement NON : les chômeurs (76%), les ouvriers (70%) et les employés (63%). Le vote NON n’est pas seulement un vote de gauche, mais la gauche est majoritaire dans le NON ; le non de gauche pèse 57% du total des NON.

Un vote de classe ?

Il s’agit bien d’un vote de classe, mais il faut : d’une part nuancer cette affirmation par d’autres critères, comme l’âge et l’insertion sociale, et d’autre part dire que le rejet de l’Europe actuelle s’étend à toutes les catégories sociales. Le NON est majoritaire dans toutes les catégories sauf les chefs d’entreprise et les professions libérales (45%), les BAC+2 et plus (44%), les retraités (47%).
Ont voté NON : les salariés du public (62%) et du privé (57%) ; les chômeurs (76%)
Revenu des foyers :

- inférieur à 1000 euros : 60% de NON
- entre 1000 et 2000 euros : 65% de NON
- entre 2000 et 3000 euros : 58% de NON

Le chômage, motif majeur du vote NON (de gauche et de droite) - L’électeur du NON de gauche fait le lien entre le chômage et la construction européenne.

Les classes moyennes du public basculent vers le NON

Lors du référendum de Maastricht les classes moyennes du privé avaient vigoureusement rejeté le traité et les classes moyennes du public l’avaient nettement approuvé. Le 29 mai, les deux catégories rejettent la Constitution

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