Témoignage sur les entreprises récupérées en Argentine. par Mathias Poirier

mercredi 17 mai 2006, par Webmestre

Le texte suivant est un compte rendu de « séjour - militant » à Buenos Aires en Argentine, écrit par Mathias Poirier (avec la participation d’Elen Jézéquel), membre du CA du comité local d’Attac Rennes en 2005 qui réside actuellement en Guyane française.

J’ai évidemment rencontré dans un premier temps les militants d’Attac Buenos Aires qui m’ont très chaleureusement accueilli (cf. photo) et fait participer à leur réunion de travail.

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L’année dernière, les militants ont été particulièrement mobilisés par la préparation du Sommet des Peuples à l’occasion de la venue à Mar del Plata (500 km de Buenos Aires) de George Bush pour vendre son projet hégémonique d’intégration néolibéral ALCA (plus d’info sur http://www.cumbredelospueblos.org/).

J’ai aussi assisté à Buenos aires à une série de conférences-débats passionnantes, co-organisées par Attac, sur les conséquences de ce que l’on appelle maintenant la révolution Bolivarienne au Venezuela sur le reste de l’Amérique latine.

Mais j’ai surtout eu la chance de rencontrer des acteurs du mouvement des entreprises récupérées en Argentine, expérience sociale particulièrement intéressante. Le principe n’est pas nouveau : les salariés d’une entreprise en faillite, ou tout simplement que ses propriétaires veulent liquider, prennent le contrôle de celle-ci en lui donnant le statut de coopérative et la dirigent ensemble. A la suite de la grave crise d’abord financière, puis économique et sociale de 2001, de très nombreuses entreprises argentines ont été récupérées. Le documentaire The Take, co-réalisé par Naomi Klein, montre bien les étapes de ce processus (Occuper - Résister - Produire), les conflits avec les autorités, les démarches judiciaires pour faire primer le droit au travail sur le droit de propriété, etc.

Dans un premier temps, j’ai assisté à une étonnante « foire des entreprises récupérées » qui a eu lieu dans l’hôtel Bauen (http://www.bauensuite.com/), établissement impressionnant de haut standing (5 étoiles !) en plein centre ville, lui même récupéré par ses employés. Avec le café-restaurant « Utopia », ses salles de conférence et de concert, il est devenu un improbable lieu de débat et d’animation, et pas seulement à l’occasion de cette foire. La variété des entreprises qui participent à cet événement est étonnante : de la banale fabrique de bijoux en or à la coopérative d’artisans locaux ou de producteurs de pâtisserie bio, en passant par une société de travaux publics, un sous-traitant de pièces détachées pour tondeuse à gazon, une agence de graphisme et de communication ou même une marque de machine à laver de Patagonie !

Mon attention a en particulier été retenue par le stand de la marque de chaussures de sports, CUC, c’est à dire Cooperativa Unidos por el Calzado (Coopérative Unie pour la Chaussure) dont le slogan est « pas de chef, pas d’employés, juste des gens qui travaillent ». Ainsi il serait possible de se chausser sans pour autant avoir recours aux petites mains chinoises exploitées par Nike ?

Par intérêt pour le sujet et aussi pour trouver une paire de chaussure à ma taille, j’ai ainsi visité quelques jours après la foire l’usine CUC qui se trouve dans la banlieue de Buenos Aires. Les bâtiments et les locaux ressemblent à ceux de n’importe qu’elle entreprise normale à l’exception du nom de l’entreprise CUC inscrit en grand sur ses murs (cf. photos).

Je n’ai malheureusement pas trouvé de chaussures à ma taille mais j’ai pu rencontrer et m’entretenir très cordialement avec Debora, ex-responsable de la crèche de l’entreprise et actuellement responsable des relations publiques qui est très investie politiquement dans le processus d’appropriation de l’usine par ses travailleurs. Elle répond régulièrement aux questions de divers journalistes et chercheurs en sociologie qui s’intéressent à cette coopérative.

De l’histoire de la coopérative, j’ai appris qu’avant d’être récupérée, elle était l’une des nombreuses usines que possédait la société Gatic en Argentine qui était elle-même la propriété d’Adidas. Suite à son abandon par la multinationale de la chaussure et sa récupération par les travailleurs, l’usine est actuellement « prêtée » par l’état argentin pour une durée de 4 ans, à renouveler. La production est assez diversifiée : les 110 salariés produisent pour d’autres marques chaussures de sports, des chaussures de sécurité et surtout depuis un an et le lancement de leur propre marque, de jolies chaussures de sports frappées du logo CUC.

La discussion a permis d’éclairer les difficultés et l’originalité du fonctionnement de l’usine. Ainsi celle-ci a été récupérée dans un contexte de crise économique et de chômage essentiellement par nécessité pour les salariés de garder un travail et donc un revenu, et non pas par volonté d’innover. En d’autres termes, les salariés ont « pris le pouvoir » dans l’entreprise tout simplement parce qu’il avait été abandonné par les patrons ! Les salariés ont repris rapidement l’entreprise sans trop se poser de questions mais une grande partie d’entre eux peinent à prendre conscience de leur nouvelle responsabilité dans le fonctionnement de la coopérative et de la nécessité d’un investissement personnel, notamment politique, ce que regrette Debora. Ceci est d’autant plus délicat qu’il faut gérer le passage d’un management du personnel quasi-militaire à celui où ce sont les travailleurs eux-mêmes qui fixent les règles. Cette nouvelle liberté et le manque d’implication peuvent devenir dangereux pour la viabilité de l’entreprise, ce qui provoque des conflits. D’ailleurs Debora insiste sur le fait que les femmes sont plus impliquées que leurs collègues masculins.

Cependant, la coopérative fonctionne relativement bien et les perspectives sont assez bonnes, en particulier avec la nouvelle marque de chaussure CUC. Pour le moment, il n’y a que deux points de ventes à Buenos Aires : à l’usine directement ou à l’hôtel Bauen. Ces chaussures sont aussi disponibles en Italie grâce à un réseau de magasin d’économie sociale et solidaire.

Cette coopérative CUC est un bel exemple d’innovation sociale qui se construit de manière très pragmatique et parfois difficile mais en donnant un résultat très concret.

Si le principe de la coopérative est loin d’être nouveau, la situation en Argentine est particulière. Les entreprises récupérées sont très nombreuses suite à la crise de 2001 et surtout elles s’organisent au sein du MNER (Movimiento Nacional de Empresas Recuperadas) et mutualisent leurs expériences à l’occasion d’événements comme la Foire de l’Hôtel Bauen.

Mieux ! Des relations se nouent au niveau du continent avec la première rencontre latino-américaine des entreprises récupérées qui a eu lieu à Caracas en octobre 2005

( http://www.mintra.gov.ve/encuentro_latinoamericano/ )

car ce type d’entreprise est soutenu par le gouvernement de Chavez.

L’avenir est en Amérique Latine !

Si vous connaissez des personnes susceptibles de permettre la distribution de la marque CUC en France ou si vous êtes tout simplement intéressé, vous pouvez visiter le site Internet http://cuc.labase.org/

ou écrire à l’entreprise CUC_cooperativa@argentina.com CUC_cooperativa@argentina.com

ou

écrire directement à Debora debypalomo@yahoo.com.ar debypalomo@yahoo.com.ar

(attention, il vaut mieux maîtriser la langue espagnole !)

Portfolio

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