Code du travail Préparer la contre-offensive

mercredi 1er mars 2006, par Webmestre

La parution discrète, le 13 janvier, d’un décret autorisant le travail de nuit des mineurs est significative de la méthode employée par le gouvernement dans son œuvre de destruction de la législation protectrice du travail. D’ici juin 2006, le gouvernement veut boucler sa contre-réforme afin d’offrir aux employeurs un code du travail « light », où tout ou presque est négociable.

Contrairement à une idée reçue, les premières lois sociales ne furent pas la résultante de luttes ouvrières mais de la nécessité, pour le pouvoir, d’avoir à sa disposition des recrues militaires aptes physiquement à la guerre coloniale. C’est ainsi que la Monarchie de Juillet établit la première loi sociale, le 22 mars 1841, en fixant l’admission à huit ans et en interdisant aux enfants les travaux de nuit. Dans les décennies suivantes, d’autres mesures furent prises, avec pour objectif principal de préserver une main-d’œuvre vigoureuse et stable, élément indispensable pour une production bénéficiaire.

Ce n’est qu’avec la montée en puissance du syndicalisme, notamment après la Première Guerre mondiale, que l’amélioration de la législation fut gagnée par les luttes sociales. Cependant, n’oublions pas que ce qui est souvent présenté comme résultat de la conquête sociale correspond en partie à des concessions du patronat, qui trouve par ce biais un moyen de garder sa domination économique et politique dans des périodes d’offensive de la classe ouvrière (1936, 1945, 1968, etc.). Si le code du travail - c’est-à-dire le rassemblement de tous les textes relatifs au travail dans un code - voit le jour en 1910, sa forme actuelle est issue de la dernière loi de codification, en 1973. C’est d’ailleurs dans ces années-là que nous observons un renversement de tendance. Jusqu’alors, nous assistions plutôt au renforcement progressif d’un code du travail protecteur des salariés.

À partir de 1977, au nom de la lutte contre le chômage, le code du travail et les cotisations sociales sont mis au banc des accusés. Désormais, quelle que soit la couleur politique des gouvernements, il faut donner de la souplesse aux entreprises. Des stages Barre de 1977 au début de la déréglementation du temps de travail incluse dans les lois Auroux en 1982, on assiste à une déconstruction d’un droit protecteur.

Des années 1980 à aujourd’hui, les mesures d’assouplissement se succèdent à un rythme régulier. L’accélération des réformes commence dès le printemps 2004. En moins de douze mois, huit lois et ordonnances viennent modifier la réglementation concernant le temps de travail. L’été 2005 marque sans doute un nouveau record. Ainsi, entre le 24 juillet et le 2 août, six lois, six ordonnances et quinze décrets viennent modifier le code du travail. Même les inspecteurs du travail ne peuvent suivre la cadence infernale de la production de textes qu’ils sont pourtant chargés de faire appliquer.

Inégalité

Aux dires du ministre délégué aux Relations du travail, Gérard Larcher, le code du travail est devenu, au fil des ans, un outil difficile d’accès et peu lisible. Aussi est-il nécessaire de procéder à sa recodification. Mais soyons rassurés, cela se fera à droit constant ! Les documents préparatoires à la recodification démontrent qu’il ne s’agit évidemment pas de cela, l’enjeu est donc ailleurs.

La recodification touche à l’architecture même du code, avec l’idée de rompre définitivement des mesures protectrices des salariés. à la différence du reste de la législation, basée sur l’égalité de tous devant la loi, la législation du travail s’est construite sur l’inégalité entre salariés et employeurs, protégeant les premiers du fait de leur subordination aux seconds. Ainsi, le code du travail ne fixe des obligations qu’aux employeurs avec un panel de sanctions correspondantes.

Le nouveau projet permettra de faire place à la contractualisation chère au Medef. Derrière ce terme barbare, il s’agit de minimiser au maximum les règles d’ordre public absolu auxquelles on ne peut déroger, y compris avec l’accord du salarié. En clair, moins de garanties collectives pour plus de « négociation » individuelle entre salarié et employeur.

Cette logique, déjà partiellement mise en place par le vote de la loi sur la négociation collective en 2004, peu ou pas combattue par les organisations syndicales, ne fait donc que s’accroître. À terme, tout sera négociable, y compris le salaire minimum ou le temps de repos quotidien. Qui peut croire sérieusement qu’un salarié négocie son contrat à l’embauche ? En centrant tout sur le contrat de travail, les employeurs ne tarderont pas à imaginer de nouvelles sanctions pour non-respect d’obligations contractuelles et, pourquoi pas, à assigner leurs salariés devant les juridictions civiles afin de réclamer des dommages et intérêts.

Ordonnances, danger

L’article 92 de la loi du 9 décembre 2004 donne la possibilité au gouvernement de légiférer par ordonnance. Cela signifie que le gouvernement a les mains totalement libres, qu’il n’y a aucun débat parlementaire, ni publicité antérieure à la parution des textes. En fonction des exigences du Medef et du degré de résistance des organisations syndicales, des ordonnances telle que celle du 1er décembre sont prises. De quoi s’agit-il ?

Avant le 1er décembre 2005, le contentieux était traité, selon les matières, par les tribunaux d’instance ou l’inspecteur du travail. Au nom de la simplification, l’ensemble des pouvoirs est désormais confié à l’autorité administrative compétente, c’est-à-dire aux directeurs départementaux du travail. Pourquoi ? Tout simplement parce que le pouvoir politique considère, à juste titre, que les juges d’instance et les inspecteurs du travail sont trop indépendants, conformément aux statuts qui les régissent. À la différence de ces derniers, les directeurs départementaux du travail ont perdu leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique depuis 1994. Ils sont désormais nommés par le ministre et peuvent être mutés à tout moment, à l’instar des préfets. Si on rajoute la variabilité de leur prime - de 0 à 15 000 euros par an -, on comprend aisément leur docilité.

L’ordonnance du 1er décembre doit être considérée comme un test important. À défaut de réaction, le gouvernement n’hésitera pas à pousser encore plus loin le bouchon et à s’attaquer au dernier pouvoir propre des inspecteurs du travail, c’est-à-dire les décisions concernant le licenciement des représentants du personnel. Une simple ordonnance, sans débat, suffit à leur ôter ce pouvoir pour le transférer aux directeurs départementaux du travail qui feront, n’en doutons pas, ce qui leur sera dicté par le Medef local ou le ministre. Si on en arrivait là, des milliers de militants combatifs du secteur privé n’auraient plus qu’à se tenir à carreau.

Revendication unifiante

Le chantier de la recodification est totalement absent de la presse syndicale, alors que les enjeux ne sont pas ignorés, chaque confédération ayant un représentant désigné à la mission ministérielle de recodification. Seule une lecture attentive du communiqué confédéral CGT sur la réforme de l’inspection du travail fait référence à ce projet qualifié de « destructeur de droits ». À part cela, c’est le néant. Au niveau national, seules les organisations syndicales de l’inspection du travail réagissent en organisant les « états généraux pour un code du travail protecteur des salariés et la défense de l’inspection du travail », en mars prochain à Paris. Inspection qui, comme le code, est en proie à une réforme profonde ayant pour objectif d’encadrer strictement le travail de ses agents, considérés comme trop proches des salariés. C’est le passage d’un service public au service du public à une administration du travail composée de fonctionnaires soumis aux ordres du pouvoir central.

La connaissance des enjeux de la recodification devrait permettre de multiplier les initiatives au plan local ou professionnel. Ici et là, des réunions d’informations commencent à être organisées tandis que certaines unions départementales CGT, sans doute agacées par le silence de Bernard Thibault, s’engagent dans la bagarre. Au-delà de la défense du code du travail actuel, notre objectif est d’arracher un véritable code du travail protecteur de tous les salariés. Ce qui passe par l’abrogation de toutes les mesures antisociales prises depuis le milieu des années 1970, et la fin des mesures dérogatoires par branches professionnelles.

Parce que le code du travail constitue le socle des garanties collectives communes à tous les travailleurs, avec ou sans emploi, la revendication d’un véritable code du travail protecteur représente une perspective d’unification des luttes sans précédent. Derrière ce mot d’ordre, toutes les questions sociales sont posées : déréglementation, licenciements économiques, contrôle des chômeurs, remise en cause des accords de réduction du temps de travail, flexibilité, précarité, contrats CNE et CPE, salaires minimums, droit de grève... Une campagne de masse pour la défense du code du travail poserait immédiatement la question de la convergence des luttes, en lieu et place de la difficile résistance dans le cadre de luttes « boîte par boîte ».

Au-delà de la reconquête des acquis perdus depuis le milieu des années 1970, nous intégrons dans cette bataille la question essentielle de l’interdiction des licenciements. Dans une économie où les profits ne subsistent que par l’exploitation grandissante des travailleurs, vouloir défendre réellement un droit du travail protecteur implique nécessairement la remise en cause du pouvoir patronal et pose la question du type de société que nous voulons.

Gérald Le Corre
À propos du plan de recodification

En février 2005, le gouvernement a entamé la remise à plat du code du travail. Les propositions du comité d’experts chargé de la recodification devraient aboutir à un vote de l’Assemblée nationale en juin 2006. Déjà, quelques réflexions s’imposent.

- Jusqu’ici, il y avait d’une part les dispositions relatives au contrat à durée indéterminée et, d’autre part, les dispositions relatives au CDD et au travail temporaire, encore considérés comme des contrats d’exception. Aujourd’hui, on introduit un titre : « Dispositions communes à la formation et à l’exécution de tous les contrats de travail ». Cette configuration n’annonce-t-elle pas la fin du CDI au profit d’un contrat unique, précaire pour tous ?

- La durée du travail est maintenant dans la même partie que le salaire et l’intéressement, et non plus sous le sceau des conditions de travail. Il s’agit d’une revendication patronale ancienne, qui refuse que le législateur limite la durée du travail et souhaite « négocier » directement avec chaque salarié, comme pour le salaire.

- Les « conflits collectifs » seront transférés dans la partie relative à la négociation collective. S’agit-il d’introduire par accord des clauses dites de « paix sociale » ou de service minimum, considérées actuellement comme illégales, le droit de grève étant un droit inaliénable, inscrit dans la Constitution ?

- La création d’une partie dénommée « Dispositions relatives aux travailleurs temporairement détachés en France par une entreprise basée à l’étranger » semble n’attendre que la directive Bolkestein reconfigurée.

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