Contributions pour un débat sur le travail et le chômage. Groupe Travail Emploi

dimanche 21 décembre 2003, par EG

Document de travail

Restitutions réalisées en octobre 2003 par et pour le groupe Travail Emploi d’Attac Rennes


CONTRIBUTIONS POUR UN DEBAT SUR LE TRAVAIL ET LE CHOMAGE


Réunion mensuelle publique d’Attac Rennes
6 février 2003

Intervention de Jacques Nikonoff, président d’Attac France

Menaces sur l’emploi

Le chômage est un problème politique, pas un problème économique. Une réflexion doit être menée autour des causes du chômage. Pourquoi travaille-t-on depuis toujours et pourquoi on continuera toujours à travailler ? Parce que le résultat du travail - les richesses produites - est une réponse aux besoins individuels et collectifs. En cela, il n’y a aucune raison pour qu’il y ait du chômage.

Il faut s’interroger sur les besoins : comment on les identifie ? comment on y répond dans la société ? sommes-nous parvenus à la satisfaction totale des besoins ? se nourrir, se soigner, s’éduquer, se cultiver, se déplacer, se loger...

Réponse : non ! On pourrait avoir un service public de la prévention, par exemple.

1. Montrer que le chômage et la précarité sont les causes directes ou indirectes des difficultés de notre société et des autres.

Il existe une omerta sur les dysfonctionnements de notre société : violence, délinquance, école, banlieues... toutes les politiques menées depuis 20 ans ont échoué parce qu’elles ne s’attaquent pas à la cause des problèmes : le chômage.

Les problèmes de santé sont plus importants chez les chômeurs, mais se développent aussi chez ceux qui sentent la menace peser sur leur emploi (angoisse...). La politique de la ville ne règle pas grand-chose. La seule solution serait de supprimer le chômage.

Par exemple, celui-ci prive les régimes sociaux de cotisations : les problèmes de financement de la protection sociale seraient résolus par l’augmentation du nombre des emplois et celle du montant des salaires.

2. Analyser les causes du chômage.

Le chômage est le fruit d’un choix politique effectué après 1968 afin de rediscipliner le salariat et rétablir le taux de profit. En effet, jusqu’à la moitié des années 70, on voit la montée en puissance des forces de progrès social, la baisse de contrôle du capitalisme réduit à la défensive. Autres facteurs :

- la présence du bloc communiste limite la prise de pouvoir des multinationales sur le monde ; la propension au compromis social est rendu plus forte en raison de la concurrence que fait peser l’alternative soviétique.

- le prestige des Etats-Unis, vainqueurs de la seconde guerre mondiale a diminué en raison du racisme, de la guerre du Vietnam, etc.

- le mouvement des non-alignés qui cherche une alternative en matière de développement prive le camp capitaliste d’une partie du monde

- la puissance de la lutte du salariat et de la jeunesse qui rejette le système capitaliste.

Après 68, les acquis sociaux sont considérables et jusqu’en 73-74. Aujourd’hui on se sent à des années-lumière de la situation de cette époque. Exemple : en 1974, l’indemnisation du chômage était fixée à 90 % du salaire brut... une époque fascinante...

Le tournant a eu lieu en 1983. Le contexte était le suivant : productivité et profits en baisse, diminution du niveau de contrôle des directions sur les entreprises. Les milieux patronaux et les forces libérales décident de réagir par :

- la construction d’un argumentaire visant à relégitimer le capitalisme ébranlé : le discours néo-libéral. Il comporte une vingtaine de thèmes qui se sont peu à peu imposés. L’objectif d’Attac consiste à déconstruire ce discours.

- la déstructuration du salariat organisé dans les entreprises par l’organisation de la précarité. Il est à noter que la généralisation de la précarité résulte notamment de lois qui ont été adoptées par les parlementaires français.

- CDD, intérim, temps partiels, etc

- externalisation et sous-traitance : la réduction de la taille des établissements permettant d’éviter la concentration des salariés en un même lieu et le développement du syndicalisme

- multiplication des statuts [ ?]

- reprise en main des fortes têtes par des cadres " formatés " : 16 000 licenciements de syndicalistes par an en France

- réinvention du management : méthodes de conditionnement

- invention du chômage comme variable d’ajustement de l’économie. Une découverte essentielle a été faite : un niveau élevé de chômage dans la société, au lieu de susciter la révolte, engendre la peur et la résignation.

A partir de 1975, le rapport de force s’inverse dans les entreprises.

Le G5 est inventé par Valéry Giscard d’Estaing en 1975 et en 1979 à Tokyo, les chefs d’Etats et de gouvernements des pays les plus riches du monde adoptent une stratégie commune : l’abandon de la politique keynésienne de soutien à la demande et le développement d’une nouvelle politique monétaire restrictive conformément à la théorie économique de Milton Friedman [ ?] (Ecole de Chicago).

Le NAIRU [?] est le taux de chômage dit " naturel " dans une société qui permet d’éviter le phénomène de l’inflation. Si le chômage baisse, l’inflation augmente. Or, l’inflation est l’ennemi du capital parce qu’elle réduit les profits. Par conséquent, il apparaît indispensable qu’un niveau important de chômage soit maintenu ! En l’absence de chômage, un employeur qui souhaite recruter est contraint d’accorder des avantages pour " débaucher " une personne : cela favorise la hausse des salaires et par conséquent la baisse des profits. La hausse des salaires entraîne la hausse des prix qui provoque la revendication d’une hausse des salaires par les salariés, etc. Donc lutter contre l’inflation c’est lutter contre l’augmentation des salaires. La période d’inflation forte qui a précédé le tournant des années 80 a été a été marquée par une moins forte rémunération du capital au profit de celle du travail. Cette situation a été favorable aux salariés : par exemple beaucoup de familles modestes ont pu devenir propriétaires de leur logement. Dès 1978, Dominique Strauss Kahn fixe le taux optimal de chômage à 9 % de la population active ; aujourd’hui, Jean-Claude Trichet l’estime à 8 %. Le discours tenu par les politiques depuis des années sur le chômage est donc purement hypocrite. Les gouvernements successifs font ce qu’il faut pour que le chômage ne descende pas en-dessous d’un certain seuil au-delà duquel l’inflation repartirait à la hausse. Il faut néanmoins noter que cette théorie semble ne pas se vérifier dans les faits puisque les Etats-Unis dont le taux de chômage tourne autour de 6 % ne connaissent pas pour autant d’inflation importante.

Pour être menées, ces politiques nécessitent le maintien de taux d’intérêt élevés - ceux-ci sont fixés par la banque centrale - qui ont pour effet de réduire la croissance économique. Cette mesure a produit au moins 1 million de chômeurs. Au contraire, on constate que dès que les taux d’intérêt baissent, le chômage baisse.

Conclusion : pour rétablir le taux de profit, il était nécessaire d’organiser la montée du chômage.

Après la tentative de relance de la gauche en 81- 82 qui échoue (pourquoi ? il faudrait s’interroger là-dessus), un plan d’austérité est adopté : c’est le moment du renoncement de la gauche à son projet et l’adoption des théories néo-libérales.

Cependant, depuis 1995, un phénomène nouveau a fait son apparition et tenté de percer la chape de plomb de la " pensée unique " : le développement à l’échelle mondiale d’un mouvement altermondialiste. Il a permis un élargissement de la réflexion. C’est le mouvement le plus neuf qui ait émergé depuis 30 ans : quelque chose est en train de se construire.

Précisions sur quelques points précis données au cours du débat qui a suivi l’intervention :

- notion de besoins  : c’est un point de référence fondamental pour mener la réflexion sur la notion de travail et inventer une conception différente de celle qui a été adoptée dans le système capitaliste. On pourrait notamment réfléchir sur la capacité du travail à créer de la valeur d’usage. Il s’agirait à la fois de :

- se produire soi-même : idée que se cultiver, se former, s’éduquer c’est du travail et qu’on doit être payé pour cela parce que c’est de la production de richesse au même titre que celle que l’on recense dans le PIB !

- produire de la société : tous les mécanismes nécessaires à la vie collective

- notion de charges sociales  : l’idée de départ était celle d’un salaire différé ou salaire socialisé. On a fait exprès d’oublier le sens de ces cotisations et on crée des zones franches et on favorise le développement des assurances privées, etc.

-  coût du travail  : les zones franches sont un échec. Pourquoi ? Parce que le raisonnement qui a abouti à leur mise en place repose sur une erreur : l’affirmation selon laquelle " le coût du travail est trop élevé ". Selon les néolibéraux, si l’on respecte les lois du marché, il ne peut pas y avoir de chômage parce qu’un équilibre s’établit forcément entre offre et demande de travail. S’il y a du chômage, c’est parce qu’on empêche les employeurs de fixer les salaires plus bas. Toutes les politiques de l’emploi pratiquées depuis 20 ans reposent sur ce postulat. Cependant les néolibéraux ne disent jamais à quel niveau le salaire de base devrait être fixé pour rétablir l’équilibre. Pourquoi ? Parce que nous sommes dans l’idéologie : si l’on prend pour référence le salaire moyen du Bengladesh, on constate qu’il est 70 fois inférieur au SMIC français. Et par conséquent, si l’on pousse la logique de l’offre et de la demande et celle de la concurrence jusqu’au bout, on aboutit à une impossibilité, une absurdité.

- notion d’ employabilité  : transforme les travailleurs en marchandises classées sur une échelle de qualité. Pour avoir le privilège d’entrer sur le marché du travail, il faut désormais faire partie de la catégorie " employable ". Martine Aubry estimait à 1 million le nombre des inemployables en France. Pour les immigrés, les illettrés, les handicapés... cette notion est un désastre. Le chômage et la précarité sont des atteintes à la dignité et aux droits humains. Au lieu d’adapter les gens au travail on devrait faire l’inverse et rappeler qu’il existe un droit au travail. Une prise en charge des gens à problèmes par le collectif de travailleurs est possible : c’est la démarche adoptée par l’AGEFIP ( ?) qui procède à l’aménagement des poste de travail pour les personnes handicapées.

-  Délocalisations  : les luttes sociales successives n’ont jamais pu les éviter. Les gouvernements ont la possibilité de les éviter ou d’en limiter les effets en utilisant différents moyens :

- les interdire par la loi (du moins dans certaines conditions). C’est une piste à exploiter à l’occasion des luttes sociales) en usant du protectionnisme coopératif et en remettant en cause le dogme de la priorité aux exportations.
En effet, si notre excédent d’exportation croît, alors il baisse pour les autres pays provoquant un déficit chez eux. Au contraire, il faudrait tendre vers un solde commercial à zéro : c’est la condition du passage de la concurrence à la coopération. Ce changement de paradigme passe par la remise en question de la notion de libre-échange et n’a rien à voir avec une démarche nationaliste. Interdire les délocalisations est un bon moyen tant que de nouveaux principes en matière de commerce ne sont pas adoptés.

- A défaut, autoriser les délocalisations mais qu ’au moins un débat se développe de façon que les choses soient connues et que l’on puisse mettre en place un embargo pour raison de risque social (" vous produisez ailleurs alors vous ne vendez plus en France ") sur le modèle de l’embargo décrété lors de la " crise de la vache folle " pour risque de mise en danger de la santé.

-  Idéologie néolibérale et médias  : un groupe de travail d’Attac sur les médias réfléchit au sens des mots et au rôle d’une partie de la presse (problème de la concentration dans ce secteur) qui œuvre au " formatage " des esprits par la diffusion des idées néolibérales. Ce travail de réflexion est un préalable qui doit déboucher à terme sur des actions concrètes.

-  Utopie  : essayer d’imaginer sur un territoire concret comment on pourrait procéder autrement (inventer un scénario, visualiser) —> licenciements : comment pourrait-on faire autrement ici et maintenant ? quelles autres stratégies sont possibles ? essayer de passer à la pratique et/ou la simulation de la pratique. Comment ? En posant les questions concrètement... pour éviter de renvoyer la question à l’Etat ou ailleurs... que les citoyens reprennent en main leur avenir... " l’utopie est un moteur puissant ".


Conseil d’administration du comité local Attac de Rennes
20 février 2003

Débat sur le travail suite à l’intervention de Jacques Nikonoff du 6 février 2003

Pb : détournement du débat avec Jacques Nikonoff par des membres de Multitude (revue, cf. chez Planète Io, liste de discussion multitude.info) + question sur la notion d’un revenu minimum garanti.

FD : ne plus accepter ce type d’intervention, refuser d’y répondre

JPE : réfléchir sur le contenu du travail
Rmq sur la forme : le style de l’intervention est polémique, c’est celui de la confrontation et non celui du débat serré à se mettent du côté des libéraux. Font preuve de condescendance.
Rmq sur le fond : ils ont le même discours que les BHL, Glucksman, RNJB ( ?), nouveaux réactionnaires à mépris du peuple, attaques contre les militants ouvriers, syndicaux... " C’est des gens de droite ".

JLM : " Il n’y a que le travail humain qui produit de la richesse " à si on veut répartir de la richesse, il faut commencer par la produire. Si l’on souhaite ne rien faire et bénéficier tout de même d’un partage de la richesse, ne s’agit-il pas de vol ?
La relation employeur-employé est une relation de subordination : cela pose la question du pouvoir de décision dans l’entreprise. Par ailleurs le travail salarié ne se réduit pas à cette relation de subordination, il peut aussi être un moyen d’épanouissement et une source de dignité...
Nécessité d’engager une réflexion sur ce qu’est le travail aujourd’hui, ce qu’il est devenu, ce qu’il pourrait être...

GH : Cf. Lafargue, ADRET... débat déjà ancien. Attac est vu par certains comme un obstacle : peut-être faudrait-il poursuivre avec eux ce débat dans lequel Attac n’a pas trop assuré ?

YB : Attac est aujourd’hui confrontée à plusieurs types d’opposants.
Actuellement, la forme conférence est remise en question : c’est un phénomène culturel marqué par le refus de la forme verticale, l’opposition aux associations avec bureau... Attac risque de se trouver en décalage avec cette tendance.
Evolution chez les jeunes aujourd’hui : remise en question des notions de besoins, de travail comme valeur, de la notion de richesse produite par le travail... les technologies ne peuvent-elles d’ailleurs pas se substituer à l’homme pour cela ?

MLB : ok avec Yves. Proposition : prévoir un temps de débat d’une demi-journée.

MS : Utopie intéressante.

SR : Revendication de ces gens : RMG = revenu minimum garanti
Il faut distinguer travail salarié / travail-activité.
Problème aujourd’hui de la discontinuité de l’activité [doit-on s’y résigner ?] à le RMG permettrait de vivre bien pendant les interruptions de travail.

MG : Notion d’utopie : cf. celle de Fourrier dont il ne reste plus aujourd’hui que les grands ensembles urbains et les jardins d’enfants.
La remise en question de la forme verticale ne date pas d’aujourd’hui... déjà en mai 68... Il s’agit peut-être plus d’un phénomène d’âge que d’un phénomène de société ?
Question de la forme conférence : susceptible d’entraîner stress et agressivité ? Le témoignage des salariés de Thomson peut-il nous faire penser que la forme théâtrale permet de mieux faire passer les idées ?
Sur le RMG, cf. André Gorz : revenu " universel et indifférencié ".

FD : Le chômage est organisé, c’est les pauvres qui vont payer pour les autres. Cf. Ouest France, Eric Chopin.

JPE : Perturbateurs du débat : style de personnalité ingérable à discussion forcément difficile.
Peut-on dire que ces jeunes n’ont plus le sens de la valeur du travail (salarié) ? S’ils s’opposent au salariat, ne devraient-ils pas aussi s’opposer au capital ? La défense du RMG n’est-elle pas rendue impossible si elle n’est pas accompagnée d’une contestation du pouvoir de la grande bourgeoisie ?

JLM : Le revenu universel pose la question de son financement et par conséquent celle de la répartition des richesses : on ne peut s’affirmer partisan du RMG et en rester là. Il faudrait mettre en cause radicalement le système capitaliste.
Réaffirmation : " Seul le travail humain crée de la richesse ! "


Ciném’attac
30 septembre 2003
Débat suite à la projection du film documentaire Roger et moi de Mickaël Moore

Intervention de Jacques Nikonoff, président d’Attac France

Les délocalisations

La situation que nous connaissons actuellement est marquée par un changement majeur concernant la propriété des entreprises intervenu au cours des 20 dernières années. Jusqu’à la fin des années 70, celle-ci sont essentiellement contrôlées par leurs fondateurs ainsi que par des banques amies des grandes familles d’industriels et secondairement par des petits actionnaires.

A partir du début des années 80, les entreprises sont de plus en plus souvent cotées en bourse et recourent au système de la sous-traitance. Elles deviennent la propriété d’investisseurs institutionnels, anglo-saxons pour l’essentiel : il s’agit d’entreprises multinationales qui investissent des fonds de pension.

Dans un premier temps, ces entreprises sont originaires des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, du Japon et des Pays-Bas, pays qui ont mis en place des systèmes de retraite par fond de pension. Au contraire, la France possède un système d’épargne de type Livret A qui détourne l’épargne des ménages des marchés financiers.

La croissance démographique ainsi que l’entrée des femmes sur le marché du travail ont fait bondir le nombre de salariés cotisants permettant aux fonds de pension de devenir propriétaires des entreprises.

A terme ce système pourrait permettre aux entreprises de financer les retraites de leurs ex-salariés sans débourser d’argent. Mais pour cela, il leur faut produire toujours plus de dividendes et de plus value. Les investisseurs institutionnels font pression sur les entreprises pour obtenir 15 % de retour sur investissement. Cf. Danone qui licencie du personnel parce qu’elle ne peut redistribuer que 7 % de dividendes.

C’est pour cela qu’il faut absolument éviter le développement du système des fonds de pension en France. C’est tout l’enjeu des luttes sociales du printemps dernier sur les retraites.

Comment faire ?

Organiser la fuite des capitaux issus des fonds de pension. Il existe des moyens puissants qui permettraient de " casser " le pouvoir des investisseurs institutionnels. " C’est la politique, la réponse ! " Il faut que la politique reprenne le dessus sur l’économie. C’est possible à 2 conditions :

- que les forces politiques - totalement résignées depuis 20 ans - y croient à nouveau

- que les citoyens les y contraignent.

Quelques pistes pour sortir de la résignation...

La première étape serait d’imposer un débat public sur :

- un nouveau droit planétaire : le droit à la continuité d’une activité et d’un revenu. Pourquoi cela apparaît-il comme une utopie ? Il faut en parler pour que les gens prennent conscience qu’il faut l’exiger. Il faut fixer le principe suivant pour notre société : personne ne peut se trouver sans activité (sauf si c’est un choix) et sans revenu. Si ce principe n’est pas respecté alors il doit exister un moyen d’en exiger l’application devant une instance judiciaire. Un tel changement nécessite de revoir de fond en comble la manière dont on conçoit aujourd’hui, d’une part, le travail, d’autre part, la mondialisation. Mais rien ne justifie l’injustice qui est commise actuellement envers des millions de gens.

- la question du travail au sens large : changer le travail tel qu’il existe aujourd’hui, le repenser. Il ne s’agit pas de défendre l’emploi pour l’emploi, mais de penser une autre société, d’inventer une autre manière de produire et de consommer (le système actuel de production-consommation est dans une impasse avec des problèmes d’accumulation absurde et de saturation alarmante).

Ainsi, la réflexion doit être globale. Néanmoins, il est aussi possible de régler tel ou tel problème particulier en menant des luttes ciblées.

Exemples :

- chasser les capitaux des investisseurs institutionnels et modifier l’actionnariat des entreprises. Comment ? En leur faisant peur, c’est-à-dire en faisant baisser le rendement des capitaux. Deux moyens existent : la fiscalité et l’inflation.

- par la fiscalité : mettre en place une " taxe Tobin " pour les actions, c’est-à-dire un impôt de bourse, contribution qui existe partout sauf en France où il a été supprimé par Edouard Balladur pour les investisseurs non résidants. Il faudrait le restaurer avec un taux très élevé qui mettrait à mal les boursicoteurs. En France, 40 % des actions proviennent des investisseurs institutionnels qui réalisent 80 % des mouvements de bourses : par conséquent un tel impôt rapporterait beaucoup.

- par l’inflation : la banque européenne la bloque à 2 % afin d’empêcher le développement de l’emploi. Il faudrait accompagner une inflation à 4-6 % et restaurer l’échelle mobile des salaires et des prix supprimé par Pierre Bérégovoy.

Ces mesures pousseraient les investisseurs institutionnels à vendre pour éviter de perdre. Mais qui rachèterait leurs actions ? La question de la propriété des entreprises devrait être rendue au débat. Aujourd’hui l’Etat prend des parts dans Alstom : c’est pédagogique dans le sens où cela montre l’impuissance du marché. Il faudrait faire la même chose en grand. Pour cela il faudrait créer un pôle financier public. Celui-ci serait une nouvelle entité distincte de l’Etat. Une utilisation démocratique de cette structure est possible.

Toutes sortes de solutions sont possibles comme par exemple :
- sortir les actions de la bourse
- un autre moyen puissant pour faire fuir les investisseurs institutionnels : un mouvement social puissant, permanent, bien organisé.

L’obstacle aujourd’hui c’est seulement que le débat sur ces questions n’existe pas et qu’il s’avère très difficile à imposer.

- Concernant les délocalisations : un Etat peut décider de les interdire. En effet, un Etat est toujours plus fort que les entreprises, une société puise sa force dans les lois et dans l’Etat : ce sont des choses qu’on a oublié et qu’il faut rappeler. Ainsi on pourrait prendre les entreprises à la gorge en utilisant les autorisations de marché : " si vous délocalisez, vous ne vendrez plus vos produits chez nous ".

- Concernant les licenciements boursiers, on pourrait s’appuyer sur la notion de restitution sociale : obliger les entreprises à assurer un revenu à leurs salariés de leur licenciement jusqu’à leur retraite. Dans cette configuration, l’entreprise est mise en situation de porter la responsabilité de ses actes et de ses décisions. La suspension du versement des dividendes aux actionnaires en cas de difficulté est une autre piste qui relève de la justice.

Précisions données au cours du débat qui a suivi l’intervention :

- La question de la propriété des entreprises a été évacuée du débat suite à l’échec de la gauche en 1983. Qu’est-ce qui a provoqué l’échec des nationalisations ? C’est parce qu’elles n’ont été vécues que comme un transfert de propriété et qu’elles n’ont pas été accompagnées d’une réflexion sur la production elle-même :

- quoi produire ?

- qui décide de produire ?

- pour qui ?

- pour quoi ?

- ...

" Les entreprises ne doivent pas seulement être des moyens pour répondre à des objectifs commerciaux " parce que le principal problème qui se pose aux habitants de la planète aujourd’hui n’est pas le commerce mais le développement harmonieux du monde. Par conséquent il faut penser cette question de la propriété des entreprises à l’échelle mondiale. Et une nationalisation réalisée dans un contexte concurrentiel n’a pas beaucoup de sens.

- Au cœur de ce problème il y a la question du libre-échange . On vient de vivre l’échec du dernier sommet de l’OMC à Cancun qui prévoyait son extension. Pas d’illusion à se faire, le développement du commerce mondial ne constitue pas le moyen d’assurer le développement économique des pays pauvres.

Le libre-échange doit être remis en cause non pas pour le remplacer par l’autarcie mais pour permettre la solidarité : les échanges économiques peuvent s’envisager dans une perspective coopérative à l’échelle universelle. (Pour cela, il faudrait passer des accords : il apparaît d’ores et déjà tout à fait possible qu’un pays qui souhaiterait agir en ce sens trouve des partenaire). Par exemple, chaque pays doit être en mesure de conquérir sa souveraineté alimentaire et pour cela il faut autoriser le blocage des importations de certains produits.

Depuis 20 ans, une nouvelle " religion " s’est imposée : il faut développer les exportations. Ce système est absurde puisque les exportations des uns sont les importations des autres : tous les pays ne peuvent pas, en même temps, exporter plus qu’ils n’importent. C’est une doctrine qui entraîne infailliblement des déséquilibres entre pays.

Autre fantasme très enraciné depuis 20 ans : la peur d’être isolés.

- L’échec du mouvement social du printemps et de l’été derniers pose-t-il la question de ses débouchés politiques : est-il nécessaire aujourd’hui que les acteurs politiques qui l’ont soutenu prennent le relais pour le faire aboutir ? Non, une lutte sociale peut réussir. Au contraire, les luttes sociales sont plus que jamais nécessaires pour lutter contre la résignation du politique. Elles peuvent même provoquer un changement politique. Le mouvement que nous venons de vivre, même en échec, a mis la pression sur les politiques et le patronat et a eu des effets non négligeables sur l’opinion publique... pas assez cependant.

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