Précaires, intermittents... On n’a que ce qu’on mérite ! par Rémi Daviau (août 2003) Article paru dans "Appels", journal des intermittents du Loiret en conflit, publié en août 2003.

Dégradation des indemnités chômage, du régime des retraites, du remboursement des soins pour les plus démunis (CMU et AME), gel des effectifs de la fonction publique et privatisation progressive des services publics, projet de réforme de la Sécurité Sociale, du RMI... On ne peut pas dire que la mode soit franchement à la solidarité sociale, et le coup d’accélérateur donné par le gouvernement actuel a le mérite de mettre en lumière la cohérence globale de ce projet réactionnaire : car il s’agit bien d’une réforme en profondeur du fonctionnement de notre société, et qui est directement issue d’une longue élaboration idéologique, née aux Etat-Unis au début des années 70, mise en application sous Reagan puis Thatcher avant de se répandre dans toute l’Europe (1).

L’idée force, qui n’est pas franchement nouvelle, c’est que chaque être humain doit prendre ses responsabilités, assumer sa condition et se mettre en situation de risque afin de l’améliorer ; et à l‘échelle d’une société, si chacun s’y met, fatalement, malgré quelques petits désagréments, tout ira mieux et la courbe du PIB montera toujours plus haut... Derrière cette vision - mais ne le disons pas trop fort - il y a bien entendu l’idée que, riche ou pauvre, malin ou pas, conforme ou pas, zélé ou pas, chacun mérite la place qu’il a dans cette société, la femme de ménage aux horaires flexibilisés par exemple, et si elle ne trouve pas mieux, quelque part, c’est qu’elle ne peut pas - ou qu’elle ne veut pas.

Heureuse philosophie de nantis ! Chacun étant récompensé selon sa juste valeur utilitaire, il est donc normal qu’en tant que décideurs, « les patrons des sociétés du CAC 40 aient gagné en moyenne 7,5 millions d’euros en 2001, soit 554 smic » (2), et que, par contre, les intermittents ne soient rémunérés que lorsqu’il (se) produisent ; ou que les pauvres, qui feraient mieux de valoriser leur « capital humain » au lieu d’être un peu trop souvent malades, voient leurs soins moins facilement remboursés ; ou encore que le RMI (I pour « insertion ») devienne un RMA (A pour « activité »)...

Un jour, nous promettent ceux qui impulsent et appliquent cette idéologie en toute impartialité désintéressée (c’est-à-dire nos amis barons et « capitaines » d’industrie en poste en entreprise ou au gouvernement), quand le système en question sera vraiment effectif, le monde tournera enfin de manière naturelle, c’est-à-dire selon les lois de la nature que sont l’offre et la demande, sans perturbations artificielles et pour tout dire malfaisantes, type lois, subventions, allocations et redistributions diverses. Et c’est vrai, où va le monde si la solidarité sociale essaie d’empécher le loup de négocier librement avec les agneaux leur « capital humain » ? Heureusement, pour ne parler que de la France, les forces vives de la nation y travaillent : témoin l’ambition affichée du MEDEF de devenir un partenaire politique à part entière et d’imposer sa fameuse « refondation sociale », projet dont le pivot central est, évidemment, l’entreprise comme principal espace social (3)... Et témoin la très affectueuse accolade que le 1er ministre a été faire au MEDEF lors de son congrès national le 14 janvier dernier.

De manière pratique, ce chantier se met en place suivant trois axes :
 La précarisation, qui force, on l’a vu, à travailler plus pour toujours moins, puisque tout doit se mériter, surtout pour les moins favorisés qu’il s’agit de « responsabiliser » ;
 Le transfert du public au privé : par les privatisations, c’est-à-dire la programmation (4) du démantèlement, pallier par pallier, de cette solidarité sociale institutionnalisée que sont les services publics (la santé, l’éducation, les transports, les communications...), ainsi que par l’intégration de tout le secteur social (principalement associatif) dans l’économie marchande : plus de subventions, plus d’exonérations, mais un système de prestations de services privées assurées par des entrprises et soumis à la concurrence (5). Là aussi, rien de plus logique, puisque ces activités, comme toutes les autres, doivent être intégrées dans le champ « naturel » de l’offre et la demande et non pas à disposition de tous sans condition ;
 La répression, leur nécessaire corollaire, qui permet de gérer le cas de ceux qui, seuls ou collectivement, en viennent à remettre en question, par leur action ou leur simple existence, ce projet de société ultralibérale, productiviste et utilitariste. Ainsi la criminalisation des minorités (gens du voyage, demandeurs d’asile, SDF, squatteurs, sans-papiers, marginaux de tous poils et punks à chien...) et des contestataires (syndicalistes, militants altermondialistes, activistes en tous genres...). Symptomatique est d’ailleurs la décision de construire 30 nouvelles prisons en France d’ici 2007 : il s’agit bien de gérer plus rationnellement la délinquance et la non-conformité, et de manière rentable si possible : elles seront construites et gérées par des entreprises privées, tandis que l’Etat conservera ses tâches de surveillance et d’administration.

La société qu’on nous fabrique, pour caricaturalement rétrograde, représente cependant une menace bien réelle. En face, les forces de contestation qui n’en finissent pas d’apparaître, de se rencontrer et de se reconnaître, internationalement comme localement, sentent la nécessité de l’union face à un adversaire aussi puissant que déterminé. En Forum Social Européen comme en Assemblée Générale orléanaise, il va s’agir pour nous tous de nous rassembler autour de valeurs communes et transversales tout en saluant les spécificités respectives de chacun : car c’est de l’élaboration collective et démocratique qu’émergera la nécessaire alternative.

C’est pourquoi attac, de même qu’elle a accompagné les derniers mouvements sociaux, soutient celui des professionels du spectacle : un autre monde est possible.

Rémi Daviau,
attac 45

Notes :

1 - Et ce sans parler des pays dits « du sud ».

2 - Le Monde, 04 octobre 2002.

3 - A ce sujet, lire : Medef : un projet de société, par Thierry Renard et Voltairine de Cleyre, éds Syllepse, 2001.

4 - Au niveau international par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et les lobbies industriels, au niveau européen par la Commission Européenne, et au niveau national par les gouvernements successifs et le MEDEF. Voir à ce sujet l’article de Stéphane Liger sur l’Accord Général de Commercialisation des Services (AGCS).

5 - Rapport du MEDEF du 1er juillet 2002.