Nouveau code du travail, Accord National Interprofessionnel : le droit du travail en péril, par Bertrand Lacoste (mai 2008)

Le droit du travail est en pleine mutation : entrée en vigueur du nouveau code du travail début mai, signature en janvier d’un accord national interprofessionnel qui est aussitôt converti en projet de loi actuellement discuté au Parlement, discussion sur la représentativité et le financement des syndicats. L’effet stromboscopique de ces réformes successives, pour reprendre une expression d’Emmanuel Dockès, professeur à Lyon 2, nous étourdit et nous hypnotise au point que nous ne percevons pas toujours parfaitement le projet sous-tendu par ces mutations et les dangers de ces dispositions. Il faut y jeter un coup d’œil avant de réagir.

I. UN ACCORD DESEQUILIBRE

Certains syndicats de salariés (CFDT, FO, CGC et CFTC) ainsi que trois organisations d’employeurs ont signé mi janvier un accord qui aborde des points importants du droit du travail.

Intitulée "Accord National Interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur la modernisation du droit du travail", cette convention s’inscrit dans un processus enclenché il y a plusieurs années et considérablement accéléré au cours des derniers mois : l’adaptation de notre droit du travail au contexte international.

Grâce à l’ouverture des marchés permettant aux employeurs de faire circuler capitaux et marchandises à travers le monde à leur guise, il est désormais possible d’exercer une pression considérable sur les salariés, en brandissant la menace des délocalisations, chaque fois que ceux-ci refusent la régression de leurs droits ou la stagnation de leur pouvoir d’achat (c’est-à-dire, pour les salariés, de leur rémunération).

Au nom de la flexisécurité et de la modernité, le MEDEF poursuit des objectifs constants : diminuer le coût du travail pour le propriétaire des capitaux afin d’augmenter la part de profit à distribuer aux actionnaires, et assouplir ou écarter les contraintes qui pèsent sur l’employeur à partir de règles impératives assurant une protection aux salariés contre diverses menaces (rupture de son contrat, exercice dictatorial du pouvoir de direction, horaires de travail exténuants, etc). Compte tenu de la résistance qui subsiste en France par rapport à ce processus, le MEDEF (relayé et soutenu obligeamment par le gouvernement et le chef de l’Etat) a dû mettre en place une stratégie adaptée.

En associant certains syndicats de salariés à son entreprise, il prévient les critiques qui pourraient surgir ici et là sur des accords régressifs et désavantageux pour les travailleurs, et il entonne en cœur (avec « ses partenaires sociaux ») le refrain à la gloire du dialogue social constructif, moderne, responsable et joyeux : le droit du travail ne s’élabore plus à partir du diktat des pouvoirs publics mais de la négociation collective. On est au XXIe siècle, que diable !

Le progrès, c’est, pour le MEDEF, d’associer les salariés à la détérioration de leur condition et à la remise en cause de leurs protections acquises au cours de luttes séculaires. Chacun appréciera. La démarche s’accompagne bien évidemment d’une campagne publicitaire diffusée avec insistance dans les médias pour valoriser le produit. Il faut persuader le public, par exemple, qu’une rupture du contrat de travail « par consentement mutuel » (discours du chef de l’Etat du jeudi 24 avril) est préférable à un licenciement prononcé dans le bruit et la fureur. Il faut expliquer à des auditeurs sceptiques que la création d’un nouveau contrat à durée déterminée (le contrat de projet) va permettre aux cadres de retrouver plus facilement du travail, et de sortir ainsi de la précarité et de la peur du lendemain. Il faut surtout masquer les aspects les plus rugueux de l’accord et éviter les bilans de ce qui correspond aux intérêts des uns et des autres dans cet accord.

Comme l’écrit le professeur Jean-Emmanuel RAY (ParisI) dans la revue DROIT SOCIAL de mars 2008, le texte de l’accord est aussi précis sur la flexibilité côté entreprise que virtuel sur la sécurisation côté salarié. Bilan négatif donc pour les salariés.
Que faut-il alors penser du premier paragraphe de la partie IV de l’accord, qui proclame que ses dispositions correspondent à un équilibre d’ensemble ? Et de l’empressement avec lequel le gouvernement a présenté le projet de loi reprenant plusieurs de ses dispositions au Parlement ?

Quelques développements sont nécessaires pour que chacun puisse forger son opinion sur les mérites de cet accord et sur l’intérêt de la loi qui va lui donner force obligatoire. On abordera donc son contenu en essayant de distinguer la situation antérieure à l’accord et ce qu’il apporte comme avantages pour chacune des parties au contrat.

I.1 Faciliter l’entrée dans l’entreprise et améliorer le parcours en emploi

Art.1 : les contrats de travail

L’article premier de l’accord proclame très fort que le CDI est la forme normale et générale du contrat de travail.
Le principe est déjà inscrit depuis 1990 dans l’article L122-1 du code du travail dans les termes suivants : le contrat de travail à durée déterminée ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Même assortie de réserves, l’affirmation dans l’accord de l’utilité économique - dans un environnement en perpétuelle fluctuation et dans un contexte de concurrence mondiale avérée - des CDD et des contrats de travail temporaire, est plus novatrice et menaçante.

Il prévoit encore l’information des représentants du personnel (CE, DP s’il n’y a pas de CE) sur le recours aux contrats précaires (CDD et contrat de travail temporaire pour accroissement d’activité). Pour le CE, l’article L 432-4-1 du code prévoyait déjà une information trimestrielle à ce sujet.

Si l’accord y ajoute un aspect prévisionnel (recours à venir), il convient de mesurer cette disposition au regard de la formule assez vague qui indique (§3) que « le recours à ces contrats doit se faire de manière responsable et pour faire face à des besoins momentanés de renfort, de transition et de remplacement objectivement identifiables ». Qui peut dire quand un entrepreneur « responsable » n’a pas besoin de renfort, de transition (?) ou de remplacement... ? L’avenir des contrats précaires est assuré !

Art.2 : l’orientation professionnelle

Cet article contient un ensemble de proclamations de principe sur le fait que l’orientation professionnelle est un élément primordial pour toute personne, etc. et sur le fait qu’elle doit prendre en compte les débouchés professionnels offerts par les différentes filières scolaires et universitaires. Ces généralités s’accompagnent du souhait que « les professionnels interviennent plus fréquemment dans les établissements d’enseignement ». Cette revendication ancienne du MEDEF de formater le plus tôt possible les futurs salariés aux besoins de l’entreprise a trouvé manifestement un écho !

Art.3 : l’entrée des jeunes dans la vie professionnelle

Cet article prévoit l’intégration des stages pédagogiques dans la durée de la période d’essai en cas d’embauche. C’est une bonne chose, à ceci prêt que l’on comprend mal pourquoi il est précisé que cela ne peut réduire la période d’essai de plus de moitié. Connait-on beaucoup de stagiaires inertes dans les entreprises empêchant par là même toute appréciation ?

Art.4 : la période d’essai

Il est institué une période d’essai interprofessionnelle qui doit impérativement être stipulée dans le contrat ou la lettre d’embauche. Auparavant, la période d’essai ne s’imposait au salarié que si elle figurait au contrat ou si, inscrite dans une convention collective, le salarié avait été informé de l’existence de cette convention au moment de son embauche. La période d’essai n’avait donc pas de caractère systématique.

L’ANI procède à cette systématisation et prévoit de surcroit des durées extensibles. Par accord de branche étendu, elle peut atteindre 4 mois pour des ouvriers et employés, 6 mois pour les agents de maîtrise et techniciens, et 8 mois pour les cadres.
Certes un délai de prévenance est prévu en cas de rupture de la période d’essai (48h).
Il faut rappeler que, pendant la période d’essai, la rupture est possible pour chacune des parties sans avoir à en justifier. La jurisprudence ne limite cette possibilité de rompre de la part de l’employeur qu’en cas d’abus, à charge pour le salarié d’apporter la preuve de cet abus. La tâche n’est pas aisée... L’accord instaure donc une facilité évidente pour rompre le contrat, de la part des employeurs, pendant un laps de temps significatif au début du contrat.

Art.5 : accès au droit

La condition d’ancienneté de 3 ans pour bénéficier de l’indemnisation conventionnelle de la maladie prévue dans l’accord de mensualisation de 1977 est ramenée à un an. Les futurs malades se sentent déjà réconfortés !

Art.6 : le développement des compétences et des qualifications des salariés

Là encore, on trouve des proclamations de principe : « Le développement des compétences des salariés constitue un élément déterminant pour leur évolution de carrière (...) et l’évocation d’un bilan d’étape professionnel destiné à inventorier de manière prospective et à périodicité régulière la compétence des salariés ». Un avenant doit être conclu avant fin 2008 pour affiner le processus.

Outre le caractère différé du dispositif, on peut souligner le fait que les bilans de compétence et l’évaluation annuelle sont monnaie courante dans les entreprises. Rares sont les salariés qui y voient une aide dans leur parcours professionnel. Plus fréquent est le sentiment partagé par les utilisateurs que le bilan de compétence est un vecteur pour faire intégrer au salarié des objectifs qu’il devra atteindre coûte que coûte ou, dans certains cas, intérioriser le sentiment que sa véritable place n’est plus dans l’entreprise mais qu’il serait bien mieux employé à sa juste compétence ailleurs. La rupture d’un commun accord se présentera alors opportunément pour ne pas donner à cette extériorisation de compétences une tournure dramatique... On va y revenir.

Art.7 : la formation professionnelle des salariés

Une succession de proclamations de principe, de formules générales ou de projets à terme sur l’employabilité des salariés, l’accompagnement de la VAE par « un meilleur dispositif » et la facilitation du retour à un emploi durable des CDD. On est dans le virtuel et le prospectif côté salarié, comme le dit le professeur RAY.

Art.8 : la mobilité professionnelle et géographique

L’accord part d’un postulat : « la mobilité géographique doit offrir des possibilités d’évolution de carrière et de promotion sociale des salariés. Elle doit constituer également une protection contre les pertes d’emploi ».
Après des considérations assez floues sur la mobilité à la demande du salarié, il précise que, en cas de mobilité à la demande de l’employeur, celui-ci devra rechercher les mesures d’accompagnement susceptibles d’être mises en place au bénéfice des salariés et de leur famille.

Chacun peut mesurer la différence entre une obligation de chercher et une obligation de trouver... Entre une obligation de moyen et une obligation de résultat. Entre le fait de réduire effectivement et concrètement l’impact du déménagement pour le salarié et sa famille, et celle de déplorer les inconvénients de la mutation en vantant le fait que cela permet au salarié au moins de conserver son emploi et de continuer à nourrir la famille. Protection virtuelle pour le salarié. Flexibilité réelle au profit de l’entreprise. Tout est dit dans l’avant-dernier paragraphe de cet article :
« Lorsque la mobilité géographique fait partie du parcours professionnel du salarié, son entreprise s’emploiera à ce que la modalité de mise en œuvre de cette mobilité soit compatible avec les impératifs de la vie familiale. Elle veillera notamment à ce que dans la mesure du possible les dates mises en œuvre de la mobilité soient compatibles avec le calendrier scolaire ».

Outre que la formule employée est un peu vague sur la contrainte qui pèse en fait sur l’entreprise dans la première obligation énoncée, la formule « dans la mesure du possible » laisse perplexe quant à la façon dont les négociateurs conçoivent la gestion des entreprises ! Ses impératifs seraient tels qu’il est parfois indispensable d’obliger une mère ou un père de famille à gagner à bref délai un lieu de travail éloigné sans que cela puisse attendre les vacances scolaires suivantes. Une entreprise est-elle gérée à vue sans savoir quelques mois à l’avance qu’elle va créer un service ou un établissement nouveau à quelques centaines de kilomètres ? Les prévisions concernant les réorganisations économiques se font-elles à flux tendu avec des créations ou des suppressions d’établissements instantanées, comme dans un grand jeu virtuel sur Playstation ? On comprend que l’économie aille si mal, si les choses sont gérées d’une manière aussi improvisée ! À moins qu’il ne s’agisse d’une réaffirmation de ce que les salariés sont, en définitive, soumis aux desiderata de leur employeur, y compris en ce qui concerne leur lieu de vie.

Art.9 : la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences

Après avoir donné une définition de la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) : « faciliter tant pour les salariés que pour les entreprises l’anticipation des besoins d’évolution et de développement des compétences en fonction de la stratégie de l’entreprise ainsi que des évolutions économique, démographique et technologique prévisibles », l’accord ajoute plus loin que l’accord CPEC doit « s’inscrire dans le cadre d’un dialogue social dynamique avec les représentants du personnel, en prenant appui sur la stratégie économique définie par l’entreprise ».

Est-ce à dire que les représentants du personnel ne sauraient avoir de stratégie alternative pour l’entreprise ? Tous ceux qui ont assisté à des CE, appuyés par des experts de cabinets compétents qui proposent des axes de développement de l’entreprise, afin de créer ou de sauver à terme des emplois, apprécieront. Les négociateurs sont sans doute des adeptes de la formule de Brel : Chez ces gens là on ne pense pas, monsieur, on ne pense pas...

L’essentiel dans cet article réside dans la déconnexion entre GPEC et licenciement économique : « la GPEC doit entièrement être dissociée de la gestion des procédures de licenciement collectif et des plans de sauvegarde de l’emploi ». Actuellement, la jurisprudence est divisée sur le lien qui doit être fait entre gestion prévisionnelle et licenciement économique. Certains arrêts annulent des plans de sauvegarde de l’emploi - et donc des licenciements économiques - en considérant que ces licenciements ne devraient pas être envisagés tant que des accords ou des négociations sur la gestion prévisionnelle de l’entreprise ne sont pas intervenus. D’autres dissocient les deux démarches de façon catégorique. Les employeurs ont bien évidemment tout intérêt à ce que les deux processus soient nettement séparés. La contrainte d’une négociation sur la GPEC, préalable à toute procédure de licenciement collectif pour motif économique, est ainsi écartée. Davantage de souplesse et de sécurité pour les licenciements, cela ne se refuse pas !

I.2 SECURISER LES CONTRATS ET AMELIORER LE RETOUR A L’EMPLOI

On passera sur l’article 10 qui diffère dans le temps la négociation sur certaines clauses du contrat de travail pour les cadres. Rien de tangible dans l’immédiat.

Art.11 : encadrer et sécuriser les ruptures du contrat de travail

D’emblée, l’accord parle de ce qui fâchait : l’obligation de motiver les licenciements. Il est indiqué, en premier lieu, que tous les licenciements doivent être motivés et que les pouvoirs publics doivent prendre les dispositions pour l’application de ce principe à tous les contrats. Le CNE est bien évidemment directement concerné, puisque la rupture n’avait pas à être motivée pour ce contrat. À vrai dire, les dispositions, très fermes en apparence, de l’accord dissimulent la défaite spectaculaire de cet OVNI juridique sur le terrain judiciaire.

Déclaré contraire aux dispositions de la convention 158 de l’OIT par la cour d’appel de Paris, le CNE était moribond. La Cour de Cassation ayant déclaré la convention 158 de l’OIT directement applicable en France, il était à craindre pour les défenseurs du CNE qu’un arrêt de cette haute juridiction enterre définitivement cette bizarrerie contractuelle (un soi-disant CDI qui n’obéit pas au régime du CDI). Quand tout nous échappe, feignons d’en être l’organisateur, ont dû se dire les négociateurs du MEDEF...

 Amélioration de la lisibilité des droits contractuels : il est prévu d’ouvrir une réflexion sur le sujet dans les plus brefs délais. Défense de sourire.

 Indemnité de rupture : elles seront dues dès la première année d’ancienneté et correspondront à 1/5 de mois par année de présence quel que soit le motif de licenciement.
Auparavant, ce calcul était réservé aux licenciements économiques et les indemnités n’étaient dues qu’après deux ans d’ancienneté. Il y a là une avancée indéniable. En pratique, certains n’hésitent pas à la relativiser. Un salarié licencié après 10 ans d’ancienneté touchera deux mois de salaire au lieu d’un. tournée générale, ça se fête !

 Le reçu pour solde de tout compte : la signature du salarié atteste de ce que l’employeur a rempli les obligations formalisées dans cet instrument. S’il n’est pas dénoncé dans le délai de 6 mois par le salarié, il est libératoire. Ainsi, selon l’accord, le reçu pour solde de tout compte retrouve son caractère incontestable passé 6 mois. Or, ce document a fait l’objet d’une jurisprudence qui en a réduit progressivement les aspects les plus dangereux en remettant en cause de manière très large son aspect libératoire. En janvier 2002, le législateur tirait les leçons de cette jurisprudence et affirmait que le reçu pour solde de tout compte n’avait valeur que de simple reçu des sommes qui y figurent. Il faut attendre 2008 pour qu’un accord de « modernisation » du droit du travail exhume cette vétusté et lui rende son aspect libératoire. C’est la modernité à reculons... Cette disposition ne peut avoir pour seul intérêt que de sécuriser la rupture pour l’employeur. La modernité s’efface devant de telles préoccupations sécuritaires.

 La conciliation prud’hommale. : le demandeur doit accomplir une formalité supplémentaire avant la saisine du CPD’H : adresser au défendeur (employeur dans la quasi-totalité des litiges) l’objet de sa réclamation.« Seule la constatation de l’impossibilité de parvenir à une conciliation par les juges ouvre le droit de saisir le bureau de jugement ». On comprend l’intérêt pour les employeurs de freiner la contestation prud’hommale autant que faire se peut en introduisant des embûches et des formalités supplémentaires. On cherche en vain l’intérêt de ces deux mesures pour les salariés. Comment décidera-t-on que toute conciliation est impossible ? Que se passera-t-il quand le salarié croisera son employeur dans l’entreprise après lui avoir envoyé sa demande préalable à l’engagement de la procédure ?

 La réparation judiciaire du licenciement : l’accord demande aux pouvoirs publics de fixer un plafond et un plancher au montant des dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Jusqu’à présent, l’article L122-14-4 du code du travail fixait un plancher (6 mois de salaire) mais pas de plafond. Il est permis de s’interroger sur la compatibilité d’une telle mesure avec le principe de réparation intégrale du préjudice, qui vaut pour tous les autres domaines du droit et qui a été réaffirmé récemment par la Cour de Cassation à propos de la nullité d’un licenciement et de ses conséquences indemnitaires. L’accord prévoit encore d’examiner les moyens conduisant le juge à rechercher dans le cas d’une insuffisance dans l’énonciation du motif réel et sérieux de licenciement la cause du licenciement, et à statuer sur son caractère réel et sérieux. Cette disposition est censée expressément répondre à la jurisprudence actuelle de la cour de cassation qui considère (depuis 1990) qu’un licenciement insuffisamment motivé n’a pas de cause réelle et sérieuse. Tout ce qui ne figure pas dans la lettre de licenciement est considéré par le juge comme inexistant et ne peut justifier la rupture. La préoccupation des négociateurs est donc de faire échec à cette jurisprudence et de voler au secours de l’employeur qui ne serait pas en mesure d’expliquer clairement et précisément pour quelles raisons il envoie un salarié faire la queue devant l’ANPE.

Il s’agit de leur donner une deuxième chance de s’expliquer devant le CPD’H en revenant à l’époque mathusalémienne où l’on considérait que la lettre de licenciement ne liait pas le contentieux en interdisant toute discussion et tout examen de motif qui n’y figurait pas expressément. Côté modernité, on est plutôt dans le commémoratif... Côté sécurité pour l’employeur, on fait un grand pas en avant ; côté salarié, on peut déplorer le retour au licenciement à géométrie variable en fonction de l’échange des pièces et moyen devant les juridictions.

Art.12 : privilégier les solutions négociées à l’occasion des ruptures du contrat de travail

L’objectif est clairement annoncé : « concrétiser des dispositifs pour minimiser les sources de contentieux ».

 La rupture conventionnelle : elle a fait grand bruit. Elle tend à sécuriser les conditions dans lesquelles l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat qui les lie. Au cours des rencontres, le salarié peut se faire assister par plusieurs types de conseils (l’avocat n’y figure pas). L’employeur aussi (l’avocat n’est pas exclu). Le salarié dispose d’un droit de rétractation de 15 jours. L’accord doit être homologué par le DDT dans un délai préfixe de 15 jours. Le salarié perçoit des indemnités de rupture spécifiques et reçoit des indemnités de chômage après homologation.

Cette rupture d’un commun accord n’est pas, contrairement à ce qui a été annoncé ici et là, une nouveauté. La cour de cassation a réaffirmé en 2003 ce qu’elle avait toujours admis : la rupture du contrat de travail peut se faire à l’amiable, puisque le consentement des parties peut défaire ce qu’elle avait décidé initialement. Ce qui est nouveau, c’est la possibilité de percevoir l’assurance chômage si certaines conditions sont remplies. Ce type de rupture devient donc moins pénalisant et moins dissuasif pour le salarié.

Il devient surtout très attractif pour les employeurs qui trouvent ainsi le moyen d’éviter le contentieux éventuel lié à un licenciement pour lequel ils subissent des contraintes de motivation et de justification (exigence d’une cause réelle et sérieuse). La rupture amiable peut être proposée pour des raisons purement subjectives par l’employeur, alors que la cour de Cassation exige des motifs objectifs et vérifiables. Une fois homologuée et passé le délai de rétractation, la rupture amiable est très difficilement contestable.

Deux questions surgissent également quant à l’intérêt de cette formule sur le plan général et pour le salarié :
 Le salarié peut-il surmonter le refus de son employeur de consentir à son départ afin de percevoir les indemnités de chômage ? La réponse est clairement NON.
 Qui finance ces ruptures négociées ? L’assurance chômage, dont on nous dit qu’elle est déjà submergée par des indemnisations écrasantes pour son budget. Rappelons que la couverture des salariés par l’assurance chômage doit être renégociée prochainement.
Pour finir on peut craindre (comme beaucoup de commentateurs) que des salariés subissant un harcèlement moral ou plus simplement une exécution particulièrement éprouvante de leur contrat ne se tournent vers ce type de rupture alors qu’ils disposent de garanties (L 112-49 et L122-4 : obligation pour l’employeur d’exécuter le contrat de bonne foi) qui pourraient remédier à sa situation.

 La rupture pour réalisation de l’objet défini au contrat : il s’agit d’autoriser la création d’un nouveau CDD d’une durée de 18 à 36 mois pour le personnel d’encadrement. Ce contrat suppose la signature d’un accord de branche étendu ou d’un accord d’entreprise. Il doit préciser le projet sur lequel le salarié est affecté. Il prévoit une information préalable du salarié avant l’arrivée du terme. Il peut être rompu à chaque échéance pour UNE CAUSE RELLE et SERIEUSE. Le salarié bénéficie d’une priorité d’embauche dans l’entreprise.

Ces dispositions autorisent finalement le recours au CDD sur des postes correspondant à l’activité normale et permanente de l’entreprise. L’activité normale et permanente d’une entreprise n’est-elle pas de mener à leur terme des projets successifs ? Il s’agit donc d’une entorse faite au principe du recours systématique au CDI pour ce type d’emploi. Par ailleurs, on peut craindre que ce type de contrat réservé aujourd’hui aux cadres (ce qui est déjà très contestable) ne soit par la suite étendu, comme ce fut le cas pour les forfaits jours.

Enfin, la rupture est possible pour une simple cause réelle et sérieuse alors que seule une faute grave est actuellement nécessaire pour rompre un CDD.

Art.14 : la portabilité des droits

On a fait beaucoup de bruit autour de ces dispositions qui prévoient :
la permanence des garanties complémentaires santé et prévoyance en cas de chômage, la possibilité de conserver ses droits au DIF d’une entreprise à l’autre en cas de changement.
On a moins évoqué le fait que la première disposition est limitée dans le temps (un tiers de la période d’indemnisation chômage) et que la mise en œuvre du droit au DIF se fait à l’initiative du salarié, mais EN ACCORD avec le nouvel employeur. Quid en cas de désaccord ?

Art.15 : assurer l’accès à la formation de certains salariés et demandeurs d’emploi

Cet article contient un ensemble de généralités sans portée pratique immédiate...

Art.16 : assurer un revenu de remplacement au chômeur

Il est prévu, entre autres choses d’ordre général, de mieux indemniser les chômeurs pour des durées plus courtes dans le cadre de dispositif d’incitation à la reprise d’emploi et d’accompagnement vers l’emploi.
Comme chacun le sait, les chômeurs sont mal formés ou paresseux. La durée du chômage et son importance ne s’expliqueraient pas par la destruction des emplois en France et le recours systématique à l’automatisation ou aux délocalisations, mais par les caractéristiques des 7,5% de la population qui le subissent. Si les entreprises n’embauchent pas en France, c’est parce qu’elles subissent trop de charges et que le droit du travail est trop contraignant. Comme le disait, il y a quelque temps, un employeur du secteur textile devant le conseil des prud’hommes de Blois à propos de ses salariées : elles seront toujours trop payées au SMIC puisque, ce qu’elles font, d’autres dans le monde le font pour un bol de riz. Attention, le riz devient hors de prix !

Art.17 : améliorer l’accompagnement des demandeurs d’emploi.

Il est prévu de mobiliser… les opérateurs privés. Exit l’exclusivité des pouvoirs publics pour assurer le droit au travail inscrit dans la constitution. L’article 18 fait référence à la mise en place d’un dispositif permettant de contrôler l’effectivité de la recherche d’emploi.

Art.18 : sécuriser le portage salarial

Il est écrit : « Entaché d’illégalité, cette forme d’activité répond cependant à un besoin social ».
La durée du portage ne doit pas excéder trois ans. Le porté bénéficie du régime du salariat. Cette formule permet aux entreprises d’externaliser en fait certains emplois puisque c’est un tiers qui assure la relation contractuelle. Elle crée une précarité incontestable (3 ans maximum) pour les « salariés » placés sous ce régime. Elle améliore la rentabilité des entreprises de travail temporaire qui doivent par accords étendus organiser ce statut.

Viennent ensuite des considérations sur l’intérêt de la négociation collective et l’entrée en application de l’accord dans sa globalité. Inutile d’insister : chacun réalisera que cet accord est déséquilibré.

II. UN PROJET DE LOI EMPRESSE ET CONFORME

Le projet de loi actuellement en discussion reprend en priorité les dispositions relatives au contrat de projet et à la rupture amiable. Il faut croire qu’il y avait urgence. Le reste viendra si l’on n’y prend garde.

L’actualité récente - CNE anéanti sur le plan judiciaire, CPE contrecarré par la mobilisation populaire - démontre qu’il existe des alternatives à la résignation et à la régression des droits des salariés. Encore faut-il que les choses soient connues ! La refonte du code du travail veut répondre à un besoin de discrétion des pouvoirs publics pour leur projet de transformation en profondeur des protections sociales.

III. LE NOUVEAU CODE DU TRAVAIL EST PORTEUR DE DANGERS DISSIMULES

Personne ne peut croire que le nouveau code est plus simple et plus compréhensible que l’ancien. L’adoption du présent de l’indicatif ou le morcellement des articles ne parviennent pas à convaincre le lecteur qu’il est plus facile de s’y retrouver parmi des numérotations à quatre chiffres plutôt qu’à trois. L’éparpillement des dispositions antérieures dans des articles différents déroute plus qu’elle ne rassure tous ceux qui considèrent que le droit est bien appliqué lorsqu’il est bien connu et donc constant. On a voulu, sur la forme, faire table rase du passé tout en soutenant que la réforme s’opérait à droit constant sur le fond.

En premier lieu, il est inexact de soutenir que la déqualification de nombreuses normes légales en normes réglementaires n’entraine pas une modification fondamentale du code. Il sera désormais possible de réformer ces règles par simple décret de l’exécutif, alors que cela supposait auparavant un débat parlementaire qui pouvait susciter une certaine publicité.

En second lieu, la transformation opérée ouvre des rapprochements nouveaux entre les différentes dispositions du code, des mises en perspective différentes.

Les plaideurs les plus créatifs seront en mesure d’articuler de nouvelles argumentations autour de ces bouleversements. La jurisprudence fondée sur la logique des interprétations antérieures en fonction des textes existants va pouvoir être rediscutée et, par là même, les protections accordées à travers certains arrêts où transparaissait la conception d’un droit du travail protecteur de la partie faible du contrat de travail : le salarié.

Une question demeurerait, en effet, si l’on considérait que le projet n’était pas de couper le droit du travail de son histoire pour lui donner un intérêt désormais exclusivement technique pour les gestionnaires des entreprises. En quoi cette redistribution des cartes codées était-elle utile aux citoyens et aux justiciables ?

Bertrand Lacoste,
Juriste,
Attac 45